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Promenades Littéraires (Gourmont)/Deux poètes de la nature

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I

DEUX POÈTES DE LA NATURE

ORIGINES — WILLIAM CULLEN BRYANT
RALPH WALDO EMERSON


L’homme est un perpétuel recommenceur. A-t-on bien étudié cette tendance ? L’histoire a ses couches successives, comme la géologie, où dorment les restes des civilisations qui se sont superposées. Arrivé en un point, le progrès s’arrête ; il y a eu catastrophe ou évolution, et un autre ordre de choses reprend qui subira le même sort. En pénétrant aux détails de l’histoire, on voit quantité de faits analogues, et les colonisations modernes nous montrent, comme autant de petits peuples robinsons, des groupes humains, repassant lentement par toutes les phases de la civilisation intellectuelle. Et ce qui frappe, c’est que le flambeau n’est pas éteint, la lumière de la métropole n’a pas cessé d’éclairer la ruche ; et pourtant, il faut que celle-ci fasse jaillir elle-même l’étincelle d’un feu nouveau.

Ces recommencements ont des formes multiples, et diverses selon les lieux, les temps. En ces colonies, l’esprit ne retourne pas à son enfance il y a un niveau acquis en deçà duquel il ne reculera pas. Mais une gestation lente et obscure s’accomplit. Il a fallu plus de deux siècies à la Nouvelle-Angleterre pour produire un poète de quelque génie.

Cependant, y avait-il beaucoup plus de chemin aux idées de Londres à Reading, Connecticut, où naquit Barlow, que de Londres à Alloway où naquit Burns ? Le milieu puritain n’était point favorable à la poésie, peut-être. Encore est-il que ces rigides quakers avaient la manie de mettre leur doctrine en vers. Et s’ils en faisaient de mauvais, n’auraient-ils pu en faire de bons ? Milton, pour être grand poète, transigeat-il avec ses principes, et sa muse n’était-elle point puritaine et tête ronde ?

La poésie anglaise balbutia longtemps en Amérique, ou plutôt, comme une grande écolière ignorante, ânonna pendant des années une leçon mal apprise, Ce que disait un peu injustement Keats de l’époque de Pope et de Dryden, on peut l’appliquer à ce Parnasse puritain. Leur Pégase était un cheval de bois :

With a puling infant’s force
They sway’d about upon a rocking horse,
And thougt it Pegasus.

Il n’y a pas d’autre ressemblance entre les poètes de la métropole et leurs premiers contemporains de la Nouvelle-Angleterre, entre Waller, l’auteur charmant des vers A une rose, Sur une ceinture, et Michael Wigglesworth, l’auteur du Jour du Jugement. Un seul point de comparaison, c’est que les poètes cavaliers ramènent au calme le blood-and-thunder style, et que les puritains le ramènent à la-platitude. Ce qui demeure fondamental, c’est l’origine religieuse de la poésie comme de toute la littérature américaine. Ce caractère, elle ne l’a pas encore perdu ; elle se ressent encore du grand théologien Jonathan Edwards : Emerson se posa toute sa vie en pontife, et son poète d’aujourd’hui, Walt Whitman, voudrait bien être pris pour un prophète, tout démagogue qu’il soit, et renouer la chaîne avec Osée ou avec Baruch.

Les généralités qu’on vient d’avancer sur la poésie américaine se peuvent notamment appliquer à la poésie de la nature, dont il est facile de suivre la lente éclosion. Mais qu’une telle revue serait fastidieuse, en détail, et stérile. Pourtant, on ne saurait partir de Bryant ; tout poète de marque a une généalogie, au moins un précurseur. Ainsi Bryant est expliqué par Philippe Freneau, et quant à sa conception religieuse et pessimiste du monde, ne faut-il pas en chercher l’origine dans les profondes influences puritaines qui avaient mis leur empreinte dans la poésie elle-même ?

Donc, sur ces commencements, quelques notes, un peu hors du sujet annoncé par le titre, mais nécessaires ; — on peut les supposer au bas des pages.


I

Sans compter les vers anglais écrits, par hasard, en Amérique, la première production poétique de la Nouvelle-Angleterre est probablement une pièce anonyme qui fut composée vers 1630 : New-England’s annoyances, you that would know them, — Pray ponder these verses which briefly do show them. Tel est le titre en un médiocre distique. Ce sont les plaintes vulgaires d’un colon déçu, récriminations naïves peut-être, et assez modérées pour ne pas décourager les frères prêts à passer l’Océan. Dix ans plus tard paraît une traduction des psaumes, sortie de l’imprimerie établie en 1639 à Cambridge, Massachusetts, par un certain Daye. C’était l’œuvre collective de quelques théologiens au nombre desquels John Eliot, le fameux apôtre des Indiens. D’après la préface, ces braves gens ne semblent pas s’être fait d’illusions sur le mérite littéraire de leur besogne. Il faut leur accorder ce point ; car aussi bien, cette traduction des psaumes passe-t-elle pour la plus médiocre qui soit en langue anglaise, où il y en a tant.

Our harp wee did hang it admid
Upon the wilIow tree
Because they that us away
Led in captivitee
Requir’d of us a song.

On a reconnu le Super flumina Babylonis, Ps. CXXXVI.

Laissons passer encore dix ans et nous verrons apparaître « la dixième muse, récemment éclose en Amérique ». L’auteur, qui s’annonce si modestement, est une jeune femme, Mrs Bradstreet, la première en date de quelque cinq cents poétesses dont s’enorgueillit, on n’oserait dire à tort, la littérature américaine. Son recueil de vers eut de nombreuses éditions, et celle de Cambridge (1660) nous donne dans le titre même un abrégé, amusant par sa vaniteuse naïveté, des matières mémorables que contient le volume. Cette jeune poétesse, « le miroir de son temps et la gloire de son siècle », ne nous fait rien moins qu’un cours versifié d’histoire universelle, depuis le déluge jusqu’à Tarquin, « et depuis la République romaine, au commencement, jusqu’à la fin du dernier roi », On sont à ce trait l’esprit républicain de la secte : le dernier roi, c’est Charles Ier. Si étrange que paraisse l’idée de ce panorama historique, en vers, elle n’avait rien de nouveau. Mrs Bradstreet se faisait tout bonnement la continuatrice de Du Bartas, reprenant son œuvre où il l’avait laissée à la fin de sa Seconde Semaine. En France, nous méprisons Du Bartas sans le connaître, rebutés par l’extravagance de son style ; mais les étrangers, moins sensibles à ce défauît, font cas de son génie. Les Allemands l’ont étudié de près, et Milton l’avait lu, tout comme Mrs Bradstreet dans la traduction de Sylvester. Il serait injuste de ne point reconnaître qu’elle a profité à son école : ses vers ont çà et là quelque ampleur. Pour le fond, nulle originalités c’est la triste philosophie religieuse des puritains. A peine, de ci, de là, si quelques détails de paysage montrent qu’elle a regardé autour d’elle et qu’elle a senti la nature particulièrement grandiose de son pays. Malgré les compliments ridicules dont l’accablent ses contemporains, loin d’être « l’émule de Virgile », Mrs Bradstreet n’est même point, comme dit l’un d’eux, et ce serait déjà beaucoup, « la vraie filie de Du Bartas ».

On omettrait jusqu’au nom de Peter Foulger, s’il n’était le grand-père maternel de Franklin. Benjamin Thomson, du moins, a droit au ridicule, pour avoir gémi, en vers, de toute façon lamentables, sur la décadence des colonies anglaises, dont il prévoit la fin prochaine. Sans être optimiste, dont Dieu nous garde, on y peut voir une leçon pour les gens pressés de connaître l’avenir. Cet amusant rêveur, qui voyait l’hiver dans une gelée de printemps, vaticinait en l’an 1675. Plus intéressant, ce sombre théologien égaré dans la poésie, Michael Wigglesworth : non qu’il ait le moindre talent, mais il a naïvement exposé dans toute leur laideur les doctrines puritaines. Le ridicule, à vrai dire, y dispute à l’odieux et l’on peut sourire, en dilettante de la sottise humaine, aux petits vers théologiques qui terrifiaient les congrégations de la Nouvelle-Angleterre. Il s’agit des pécheurs, c’est-à-dire de l’immense majorité des humains ; Wigglesworth nous damne libéralement et sans appel, puis il ajoute en s’adressant aux enfants morts en bas âge, qui vont tous et tout droit en enfer, n’ayant pu entrer en communication consciente avec la grâce divine :

Yet to compare your sin with their
Who lived a longer time,
I do confess, yours is much less,
Though every sin’s a crime.
A crime it is therefore in bliss
You may not hope to dwell,
But unto you I shall allow
The easiest room in hell.

« A comparer votre péché avec celui des hommes qui vécurent une plus longue vie, je le confesse, il est beaucoup moins grand. Mais tout péché est un crime. Un crime ; donc en paradis vous ne pouvez espérer d’entrer, mais on vous réserve le coin de l’enfer le plus doux. »

Ah ! la vie n’était pas gaie, en ces temps-là, aux environs de Boston ! Et c’est pourtant de ces deux principes que furent nourris les hommes de la révolution américaine : le temps par son frottement les avait adoucis, mais il en est resté quelque chose, comme un voile de gravité et de fatalisme, aux descendants de ces sombres, presque féroces pionniers.

Wigglesworth n’est pas le seul, il s’en faut, des théologiens de la Nouvelle-Angleterre atteints de la manie poétique. Presque tous, un siècle durant, en furent touchés. « Ni la vieillesse, dit M. Teyler, l’historien littéraire de cette période, ni les plus hautes fonctions, ni l’honorabilité, ni la médiocrité n’en préservaient. » Des gens braves et posés, comme le vénérable Peter Bulkley, eurent leur crise à un âge avancé ; d’autres, pris tout jeunes, vécurent de longues années sans pouvoir vaincre le mal impitoyable. Il en est résulté toute une littérature de cantiques, qui n’est pas absolument sans valeur comme document psychologique.

Vers le milieu du xviiie siècle, la médiocrité des poètes prit un autre thème. On se met à philosopher à la manière de Pope, et du moins, sous l’influence du maître classique, la poésie prend une forme. C’est William Livingston, gouverneur du New-Jersey, qui occupe ses loisirs avec un long poème intitulé Solitude philosophique, où l’on peut glaner des passages intéressants, des détails bien observés de mœurs et de paysages américains. Ce sont les quatre patriarches, dont les prénoms sont réunis dans ce vers :

David and Jonathan, Joel and Timothey.

David Humphrey fut l’ami de Timothey Dwight, rien de plus. De Jonathan Sewel le souvenir est resté associé à un beau vers, un seul, comme celui de Lumière ; on peut le lire dans l’épilogue de sa tragédie de Caton, mais de peur qu’on n’aille point l’y chercher, le voici :

But the whole boundless continent is yours.
(Le continent sans borne est à vous tout entier.)

Mais est-il si rare, ce vers qui, d’ailleurs, part d’un pied boiteux ? Les Américains le croient, parce qu’il a prédit leur fortune.

Le troisième, Joel Barlow, a écrit un de ces longs poèmes épiques dont l’Amérique s’est plus d’une fois rendue coupable, la Colombiade. Le titre dit le sujet. D’après M. Edwin P. Whipple, critique spirituel mais chauvin, jamais personne, quel que fût son courage, n’en a pu lire cent vers de suite, et quand M. Whipple sourit d’un de ses compatriotes, les autres peuvent rire. Le nom de Barlow a pourtant surnagé, grâce à un autre petit poème qui rappelle par le ton et le sujet la Gastronomie de Berchoux. Le Hasty Pudding est une agréable production culinaire ; les cuisinières peuvent y chercher la recette du plus fin pudding au lait, les gourmets l’art de manger selon les règles ce mets national, et les amateurs de la versification classique des vers qui ne dépareraient pas The Rape of the lock, la Secchia rapila ou le Lutrin.

C’est encore sur le mode léger que chanta John Trumbull, le premier des poètes américains dont la politique fit la réputation. Son premier poème, The progresse of Dulness, contient des passages de bonne et franche satire, mais sa popularité date de M’Fingal. Ridiculiser les tories au moment où les colonies se levaient contre eux, le faire avec talent et avec humour, c’était forcer le succès. Ce petit livre, qui ne visait peut-être pas si haut, fut le meilleur sergent recruteur de l’armée continentale. Il s’en vendit plus de trente mille exemplaires pendant la révolution, et les volontaires auxquels il avait mis le fusil à la main l’emportaient dans leur poche pour le relire entre deux escarmouches. Tyrtée héroï-comique, et Tàillefer sans le savoir, Trumbull, en raillant les tories, n’avait cru faire que de la littérature et de la satire inoffensive ; il l’avoua lui-même. Pourtant le patriotisme éclate dans le caractère même de M’Fingal, tory désabusé, qui, par une sorte de fatale divination se sent poussé à prédire le succès des colonies rebelles :

Hear a voice that calls away
And cries « The wigs will win the day ! »
My beck’ning genius gives command
And bids me fly the fatal land
Were, changing names and Constitution
Rebellion turns to Revolution. »

Comme poésie cela est fort médiocre, mais les esprits excités répétaient avec le gentilhomme découragé : « J’entends une voix qui m’appelle et me crie : La victoire restera aux whigs ! Mon génie m’avertit et m’ordonne de fuir une terre fatale où, changeant de nom et de constitution, la Rébellion va devenir Révolution. » C’est avec ces misères que l’on pousse un peuple aux armes ; encore faut-il les trouver à point.

Il serait impardonnable d’oublier le quatrième patriarche, lequel au nom biblique de Timothée joignait celui de Dwight. Qu’il y eût quelque part un poète répondant au nom de Timothée, cela faisait la joie de Byron. Pourtant cela est ainsi et ce Timothée a même écrit un poème épique terrible, la Conquête de Chanaan, où les victoires israélites alternent avec les victoires américaines. Il ne faut pas hésiter à préférer son ode patriotique, Columbia, et les poésies familiales où il se montre disciple élégant et ému de Cowper ; la strophe spensérienne se déroule agréablement sous ses doigts, et la grâce de sa muse domestique, encore qu’un peu fade, ne serait point sans charme, si elle ne se parait mal à propos de brides classiques où l’on sent la pédanterie du tutor de Yale-college.

Avec une fierté digne d’un bon Américain, M. Griswold raconte, dans sa volumineuse anthologie, que Robert Treet Paine est le poète moderne auquel une pièce de vers ait été payée le plus haut prix. Adam and Liberty lui rapporta 750 dollars pour soixante-quinze vers, ce qui fait cinquante francs par vers. A la même époque, Murray payait Byron une guinée par vers, quand Byron daignait se laisser payer, et je ne vois pas, en effet, étant donnée la prodigalité bien connue des éditeurs, que ce prix ait été jamais dépassé. Ce dont M. Griswold ni R. T. Paine ne se sont jamais doutés, c’est que c’était beaucoup trop, et que l’on peut se procurer des vers bien meilleurs à meilleur marché :

And ne’er shall the sons of Columbia be slaves,
While the earth bears a plant, or the sea rolls its waves.

En voilà pour cent francs, et c’est d’autant plus cher que cela rappelle, à s’y méprendre, le refrain bien connu du chant national anglais :

Rule Britannia, rule the waves ;
Britons never shall be slaves.

De plus de talent comme peintre que comme poète, Washington. Allston, l’ami et le disciple de Coleridge qu’il avait connu à Rome, est le premier de ces Américains cosmopolites que l’ancien monde a fascinés et pour qui le Potomac porte un nom barbare. Son roman, Monaldi, naturellement un « récit de la vie italienne. », n’est point des plus mauvais, encore qu’on sente le critique d’art plus que l’observateur et le psychologue ; parmi ses vers une pièce est demeurée célèbre, qui se termine par ces mots que l’Amérique adresse à la Grande-Bretagne : « We are one. — Nous ne faisons qu’un. » Bien que cette poésie ait été publiée par Colerige dans ses Feuillets sibyllins, elle n’a point précisément été prophétique.

Sans que nous l’ayons marqué au cours de ces appréciations sommaires d’œuvres et d’hommes qui eurent leur vogue, et même leur gloire, on a dû sentir la poésie américaine se dégager peu à peu de ses origines puritaines. Encore de nulle originalité, elle s’élève un peu au-dessus de l’inspiration sectaire ; la révolution, d’un seul coup, l’a affranchie et, sans donner le talent aux poètes, leur a cependant rendu la liberté. Celui qui, pendant cette première période, en profita le mieux, fut incontestablement Philippe Freneau. Son nom le fait pressentir, il était d’origine française, petit-fils d’un réfugié qui, fuyant la France après la révocation de l’Édit de Nantes, était venu fonder le village de la Nouvelle-Rochelle, aux environs de New-York. Né en 1752, il fut soldat, puis politicien de la Révolution, et montra d’abord plus de courage, ensuite plus d’esprit que de scrupules. Prosateur, il rappelle Franklin, avec moins de bonhomie et plus d’amertume : « Si la fortune semble bien décidée à vous couper les vivres, ne mangez pas votre reste, ne bâtissez pas de châteaux en Espagne, comme d’aucuns ; retirez-vous plutôt dans une île déserte et là, mourez décemment. » C’est ce qu’en beaux vers et en une forme plus élevée, dira bientôt Bryant.

Les vers de Freneau ne sont pas toujours bons. La politique l’a médiocrement inspiré, malheur qu’il partage avec presque tous les poètes amécains, qui tous, pourtant, y ont touché. Pour trouver quelque chose qui fasse penser aux odes de Manzoni ou aux ïambes d’André Chénier, il faut patienter jusqu’à Whittier et jusqu’à M. Lowell. Où Freneau est poète, et poète charmant, c’est dans le genre moyen, idyllique et tendre : Le Chèvrefeuille, Avril à Mai. Le caractère de sa poésie, c’est une mélancolie qui va jusqu’à l’amertume ; jusqu’à la cruauté dans ses vers A un vieillard. Il traîne toujours après lui l’idée de la mort qui jette une ombre sur son œuvre, et déjà l’on sent flotter dans l’air comme les bouts de ce voile automnal qui enveloppera toute l’œuvre de Bryant. Faut-il lui pardonner ses constantes intentions moralisantes ? S’il n’y a point du puritain, il y a du calviniste en lui ; il moralise à propos d’un papillon ou d’un rayon de soleil ; ce n’est, après tout, qu’une faute de goût, et il en est de plus graves. L’un de ses mérites, c’est d’avoir, le premier peut-être, compris la poésie spéciale et forestière de la vie sauvage. Campbell n’a rien trouvé de mieux que de lui emprunter littéralement l’avant-dernière strophe de sa Tombe indienne. En voici une où l’on sent très réellement vibrer l’âme de l’Indien qui ne saurait vivre si ce n’est en plein air.

Where Nature’s ancient forests grow
And mingled laurel never fades,
My heart is fixed, and I much go
To die among my native shades.

« Là où s’élèvent les vieilles forêts de la Nature, où les lauriers sont toujours verts, mon cœur a pris racine. Il faut que j’aille mourir sous les ombrages où je suis né. »

A côté du pamphlétaire, il y a en Freneau un poète satirique. Nul n’a mieux peint au vif les puritains, qui « gémissaient toute leur vie pour être heureux après leur mort. Sans penser à rien qu’à la couronne immatérielle, où qu’ils allaient, ils avaient les yeux fixés sur Sion, faisaient toutes choses en vue de la récompense finale, et tracassaient l’humanité pour l’amour du Seigneur. »

Sighed their lives through to by happy hereafter.
On a crown immaterial their thoughts were intent,
They looked towards Zion whenever they went,
Did all things in hope of a future reward
And worried mankind for the sake of the Lord.

Ces vers marquent la fin d’une époque : nous voilà bien loin du Day of the Doom.


II

A son premier voyage en Angleterre, rapporte M. Nichol, Bryant alla en pèlerinage à Rydal-Mount, et fut tout d’abord assez rudement accueilli par le maître : « Eh bien, monsieur, vous êtes un poète américain, à ce qu’il paraît. La poésie américaine m’est totalement inconne, et d’ailleurs, je ne lis jamais de vers, que les miens. » — « Oh ! interrompit scandalisée une personne de la famille, mais c’est l’auteur de Thanatopsis que la semaine dernière vous nous avez dit par cœur, tout au long. » Ce poème, que Wordsworth admirait à un si haut degré, est peut-être le chef-d’œuvre de la poésie américaine. Bryant l’écrivit en 1816, à l’âge de vingt et un ans. A la North-American Review, où il l’avait porté sans se faire connaître, on fut un bon moment avant d’admettre que l’auteur pût être un Américain, que quatre-vingts vers aussi parfaits de forme, aussi originaux d’idées eussent été pensés et écrits de ce côté de l’Atlantique. La poésie américaine était née pourtant ; peu après, Bryant était célèbre en Angleterre et Wordsworth reconnaissait son sang.

Dans le fragment autobiographique écrit en 1874, quatre ans avant sa mort, Bryant déclare sa vie si pauvre d’incidents qu’il n’y saurait trouver les éléments d’un récit de quelque intérêt. C’est pourtant un sujet sur lequel son gendre, M. Parke Godwin, a pu composer deux gros volumes[1], en relatant minutieusement les détails d’une longue existence où la poésie ne tient qu’une bien petite place, celle des loisirs d’un directeur de journal. L’Evening Post, la politique, les affaires, les responsabilités occupèrent, sans l’user, une vie qui aurait pu être plus féconde : l’œuvre poétique de Bryant tient en un petit volume de quelque trois cents pages.

Il était né en 1794, à Cunnington (Massachusetts), dans un milieu presque littéraire. Son père, médecin, aimait les lettres. « Mon père se délectait à la poésie, et sa bibliothèque renfermait la plupart des œuvres des plus éminents poètes anglais. Il faisait lui-même des vers, principalement sur le mode humoristique et satirique. » Selon la méthode de ce temps, aggravée par le rigorisme puritain, il fut élevé avec une sévérité qui allait jusqu’à inspirer aux enfants la terreur (awe) de leurs parents. Son grand-père lui apparaissait comme une sorte de Dieu qu’on pouvait à peine fléchir à force de prières. Ajoutez à cela la pratique quotidienne des châtiments corporels, du fouet hygiénique et matinal. La tendresse paternelle, je ne dis point l’affection, qui fut de tout temps, était alors un sentiment inconnu. Conçue théoriquement par Jean-Jacques, elle n’entra guère dans les habitudes familiales avant le premier quart de ce siècle.

Laissez, tous ces enfants sont bien là. Qui vous dit
Que la bulle d’azur que mon souffle agrandit
A leur souffle indiscret s’écroule ?

Ces vers marquent un profond changement dans les mœurs.

Aux temps où nous reporte l’éducation de Bryant, nous sommes bien loin du jour où Longfellow écrira, en se souvenant de Victor Hugo :

Come to me, o ye Children,
And whisper in my ear
What the birdsi and the winds are singing
In your sunny atmosphere.

For what are ail our contrivings,
And the wisdom of our books,
When compared with your caresses
And the gladness of your looks ?

Bryant n’a pas cette note familiale. Il a été trop battu, il lui en est resté un dédain singulier, peut-être une impossibilité de se manifester au dehors sous les formes simples et naturelles de la tendresse humaine.

Sobre de détails dans ses pages autobiographiques, il nous donne, ce qui est plus précieux que des anecdotes, l’histoire de ses premières lectures. Ce furent naturellement des poètes : Blair, Campbell, Southey et Cowper. Mais le manuscrit s’arrête au moment où l’on allait apprendre sous quelle influence fut composé Thanatopsis. Nous en savons toujours assez pour ne point marcher tout à fait au hasard, et tout d’abord, en ouvrant Blair, nous lisons dans The Grave : *

What is this world ?
What but a spacious burial field unwalled,
Strewed with death’s spoils, the spoils of animais
Savage and tame, and full of dead men’s hones ?
The very turf on which we tread once lived
The very turf on wihch we tread once lived
And we that live must lend our carcasses
To cover our own offsprings in their turns
They must cover theirs[2].

Ces vers sont beaux dans leur dureté et leur concision. Bryant s’en est certainement souvenu en écrivant Thanatopsis, dont voici l’analyse :

A celui qui sait communier avec la nature, elle parle sur tous les modes, avec des accents tristes, gais, éloquents. La voix s’insinue au cœur, le guérit ou le console. Quand tu sentiras venir l’agonie de la dernière heure, prête l’oreille à ses suprêmes enseignements : Tu vas mourir, bientôt de toi rien ne va plus demeurer. La terre qui t’a nourri va t’absorber au sein des éléments. Tu deviendras pierre ou terre, tu alimenteras les racines du chêne. Oh ! ta tombe ne sera pas solitaire… « Avec toi reposent — Les patriarches de l’enfance du monde, les rois, — Les puissants de la terre, les sages, les bons, — Les formes et les rudes ancêtres des âges lointains, — Tous dans le même sépulcre grandiose. Les collines — Aux flancs pierreux, aussi vieilles que le soleil, les vallées — Qui les séparent et s’étendent au loin dans leur abandon pensif ; — Les bois vénérables, les fleuves qui se meuvent — Majestueusement, et les ruisseaux plaintifs — Qui font verdoyer les prairies ; et, répandue tout autour, — L’immensité grise et mélancolique du vieil Océan. — Tout cela n’est que la solennelle décoration — Du grand tombeau de l’homme. »[3]. Tout ce qui respire partagera ton sort. Tu disparaîtras et rien ne sera changé ni au cours des choses ni au caractère des hommes, et tout et tous se joindront un jour à la caravane innombrable qui se dirige sans cesse vers le royaume mystérieux. Puisque telle est la loi, obéis, mais fièrement, non sous la menace du fouet comme un esclave. « … Approche-toi de la tombe — Comme quelqu’un qui se drape sur sa couche — Avant de s’endormir et de partir pour les doux rêves. »

Approach thy grave
Dans un jeune univers, si tu dois y renaître,
Puisses-tu retrouver la force et la beauté.

Ce sont les vers de La Fontaine, mais plus beaux encore, et qui semblent ennoblis par une digne image, celle du repos.

Que signifie au juste dans la pensée du poète ce mot grec arbitrairement composé, Thanatopsis ? Spectacle de la mort, regard dans la mort ? On ne sait trop ; mais l’impression ressentie à la lecture du poème est des plus nettes, sous le vague apparent des larges idées voilées par les plis sculpturaux d’une abondante draperie poétique. C’est la haute résignation au sort naturel, d’une âme qui aime son destin parce qu’elle le comprend, et parce que de la mort elle voit jaillir la vie. La nécessité d’un désastre permanent emporte avec elle la nécessité même d’une constante renaissance ; l’ordre est fait de ces deux désordres. Le cycle des choses roule éternellement sur ces trois points, pareils aux trois points mathématiques qui déterminent le cercle : vie, mort, réveil. D’un premier terme idéal, éveil, naissance primordiale, il ne s’inquiète pas. Il en est ainsi, et il fait le tableau de ce qui est. Mais ce mouvement, ce changement perpétuel de la vie en la mort, de la mort en la vie ne s’opère point d’une façon brutale ; la nature est indifférente, mais de cette indifférence même naît sa bonté, car s’il y a place pour tous dans « le tombeau grandiose », il y a place pour tous encore dans la vie. Pourtant, si la vie est douce, la vie n’est rien, puisque la mort incessamment la guette ; il faut donc accepter l’existence et renoncer à l’existence avec une résignation égale.

Ce poème sur lequel un Allemand ferait un volume de commentaires n’a rien de panthéiste. Bryant, avec un instinct de vrai poète, se maintient dans la réalité des choses visibles, et ne hasarde aucune hypothèse ; il regarde et il dit ce qu’il a vu. C’est quelque chose comme la Vision d’Addison, transposée par un familier des bois, des prés et des fleuves. Il n’a pas la naïve indiscrétion de se demander :

Où s’en vont ces esprits d’écorce recouverts ?

Jamais l’imprudence ne lui viendrait de s’adresser aux chênes avec l’attendrissement de M. de Laprade :

Dans un jeune univers, si tu dois y renaître,
Puisses-tu retrouver la force et la beauté.

Il sait que l’immortalité du chêne n’est point dans son âme, mais dans ses glands, et, en voyant mourir les vieux arbres des vieilles fqrêts vierges, il n’a aucune de ces langueurs romantiques du poète français :

Croissez sur nos débris, croissez, forêts nouvelles,
Sur vos jeunes bourgeons nous verserons nos pleurs.

Oh ! qu’il a l’âme mieux trempée et comme il sait aimer les forêts de l’amour qui leur convient et qui est fait de sérénité[4], celui dont parle le vieux poète Florentin :

Amor sincero non piange ne ride.

Voyez dans son Hymne forestier comme il est robuste, sain, et noblement religieux. Il s’adresse à Dieu, dont les forêts sont le temple naturel, car c’est lui dont la main a élevé ces vénérables colonnes, lui qui fait ondoyer cette voûte verdoyante, et il dit : « Mon esprit est frappé d’une religieuse terreur lorsque je pense — Au grand miracle qui s’accomplit sans cesse — En silence, autour de moi, le travail perpétuel — De la création, finie et pourtant renouvelée — A chaque instant. Gravée dans l’œuvre, je lis — La leçon de ma propre éternité. — Oh ! tout vieillit, tout meurt ; mais voyez — Comme sur les pas de la vieillesse décadente — Se presse la jeunesse, la belle jeunesse toujours gaie — Toujours belle en ses belles formes. Ces grands arbres — N’ondulent pas avec moins de majesté que leurs ancêtres — Ensevelis à leurs pieds. Oh ! il ne se perd pas — Un seul des charmes de la nature ; sur son sein, — Après la fuite des innombrables siècles, — La fraîcheur de son printemps brille encore — Et brillera toujours. La vie se moque de l’inutile haine, — De son archi-ennemie, la mort, et elle s’assied — Sur le trône du tyran, sur le sépulcre. »

Illa senescere, at hæc contra florescere cogunt.

Ce vers de Lucrèce exprime brièvement l’idée à laquelle Bryant revient sans cesse. De même, dans The Evening Wind, un peu sentimental, dans The Rivulet, dans Les Prairies :

« Ainsi changent les formes des êtres. Ainsi s’élèvent — Des races de choses vivantes, glorieuses en leur force, — Ainsi elles périssent, soit que le souffle vivifiant de Dieu — Les remplisse, soit qu’il les abandonne. »

Pourquoi êtes-vous triste, dit ailleurs un mourant (The old man’s Funeral) : « Vous ne sentez pas de tristesse à voir le blé moissonné — Ni cueillis les fruits mûrs du verger — Ni, jonchant le sol, les faînes tombées des hêtres jaunissants. »

Et c’est toujours cette image de la mort nécessaire à de nouvelles vies. Il semble avoir moins le sens du présent que celui du devenir. En disant que la vie est un perpétuel devenir, si l’on ne parle pas un très pur français, l’on exprime du moins une idée juste, et qui a hanté les cerveaux des poètes avant d’être démontrée par les métaphysiciens allemands.

Mais la certaine renaissance des choses mortes, le continuel renouveau qui travaille la terre n’empêche pas que ce qui est mort soit mort. Il y a des formes qui furent belles et qui ne seront plus jamais ; d’autres plus belles peuvent surgir, les mêmes ne reviendront pas à la lumière. C’est peut-être là pour le rêveur le plus profond abîme de mélancolie où se puisse plonger une âme humaine. On a beau du passé en appeler à l’avenir, invoquer la nécessité, se bercer de croyances réparatrices, le proverbe arabe vient aux lèvres : ce qui est fait est fait. L’irréparable mort des générations, la destruction et le retour aux atomes des puissants cerveaux, des beautés parfaites, des splendeurs naturelles, tous ces évanouissements définitifs de ce qui fut sont bien faits pour troubler le vivant. Ceux même qui croient au progrès, en dépit de l’histoire, peuvent partager ce malaise, car si la vie est faite avec la mort, et si l’essence demeure, le sépulcre ne fendra pas les formes disparues. Bryant croyait au progrès. C’était de son temps et de son pays ; l’Amérique grandissante était convaincue que les destinées de l’humanité s’envelopperaient un jour dans les plis de la bannière étoilée, et que le drapeau de l’Union, lambeau de ciel constellé, s’agrandirait à l’infini, jusqu’à couvrir le monde comme un nouveau firmament. La liberté conquise explique ces illusions, bien que des esprits originaux, comme Thoreau, fussent loin de les partager. Bryant a même écrit son plus long poème, les Siècles, pour célébrer ce mot et cette idée, progrès, qui répugnent tant aujourd’hui aux esprits éclairés par l’histoire. Pourtant, il sent très fortement l’irrémédiable, et il avoue sa tristesse à la pensée des choses anciennes qui ne sont plus. C’est la Terre qu’il interroge, à l’heure mélancolique du minuit :

« O Terre, pleures-tu aussi le passé — Comme l’homme, ton enfant ? Ce que j’entends, sont-ce tes lamentations — Sur les heures de ton enfance, qui ne reviendront pas, sur tes printemps — Disparus avec la fraîcheur nouvelle de leurs mélodies. — Sur les nobles générations de tes fleurs, — Sur tes majestueuses forêts du vieux temps, — Tombées avec tout le reste ? »

L’Italie, qu’il visita, lui inspire encore de semblables pensées, et ce qu’il voit sous ce beau ciel, c’est « la poussière des morts qui voltige parmi les blés naissants et les vignes nouvelles ».

Rarement abandonne-t-il ce thème ; à moins que, comme c’était la mode, pour faire preuve d’hellénisme, il ne traduise un fragment de Simonide ou apporte son ode aux massacres de Chio. Les temps sont loins où la chrétienté tout entière, héritière des lettres païennes, se levait contre les Turcs avec la Grèce, pour lui rendre son nom et la liberté, car elle avait perdu l’un et l’autre. Bryant, très sincère, monte jusqu’à l’indignation et jusqu’à l’enthousiasme ; il laisse pour une fois la passion, comme un orage, troubler les horizons uniformes de sa poésie automnale. Et il chante le partisan grec, qui n’aura de repos tant que les Turcs ne gésiront, jusqu’au dernier, couchés sur le sol,

Ainsi que la moisson des feuilles, à l’automne.

Et il chante l’amazone grecque, qui part, non moins ardente que ses frères, après avoir passé dans sa ceinture

Cimeterre et pistolets.

Cette dette payée, le poète revient à ses forêts. Et comme il se passionne rarement il ne rit guère. La nouvelle lune, elle-même, qui en soufflait d’autres à Musset, lui inspire des pensées graves, charmantes, fines, douces, tendres, mais graves. S’il s’épanouit d’aventure, c’est comme la forêt d’un rayon de soleil : « Il y a un sourire sur le fruit et un sourire sur la fleur. — Il monte un rire du ruisseau — Qui court à la mer. »

Jamais d’ironie, jamais d’humour, ce qui donne à ses vers un caractère unique peut-être dans la poésie anglaise. Mais de là quelque monotonie, non pas dans l’expression de la pensée, mais dans la pensée même. Son œuvre, comme on l’a remarqué, ressemble à une immense et majestueuse avenue, au bout de laquelle, en perspective, on aperçoit un cimetière. Il ne se laisse presque jamais aller à cette note presque désintéressée de l’artiste amoureux de tout ce qui palpite et de tout ce qui remue. Wordsworth lui-même a plus de mouvement. Comparez les vers des deux poètes To a Waterfowl. Chez l’un la vivacité de l’oiseau anime le vers brisé par son vol que le poète emprisonne dans la strophe. Le pluvier de Wordsworth voltige, s’élève, tourne en cercle, plonge, remonte comme un trait ; celui de Bryant flotte dans le ciel comme une chose dont le vent se joue, et elle ne dit rien au poète que des tristesses. L’alouette, comme Shelley, ne l’a jamais emporté en un merveilleux rêve de lumière et d’harmonie ; il ne lui demande pas :

D’où tires-tu les purs accords
Dont tu sais charmer nos remords
Et notre peine ?
— Est-ce du ciel ? Est-ce du mont
Ou de la plaine ?
Est-ce du bonheur où se fond
Ton cœur, qui vibre exempt de douleur et de haine[5] ?

Dédaigneux du printemps et de ses sources, il ne voit guère dans la nature que les mélancolies de l’automne où la vie, plus visiblement, s’absorbe lentement dans la mort, et il s’en va, seul à travers les forêts bruissantes.

Tissant ses plus doux chants des plus tristes pensées[6].

De cette tristesse s’épand une grâce singulière et pénétrante. Quoi de plus charmant que sa Mort des Fleurs ? Il ne touche qu’avec respect aux corolles flétries qui furent éclatantes et parfumées « Où_sont les fleurs, les belles jeunes fleurs ? Dans la tombe. La noble race des fleurs repose, en sa couche funèbre, avec nos belles, avec nos braves. » La pièce est tout entière fort belle. Admirable encore le morceau intitulé Juin, où il réclame d’être enterré sous la verdure d’une prairie, ajoutant : « Mon bonheur sera peu de chose, seulement ceci, que ma tombe sera verte. »

Ses tendresses même sont funèbres, mais il présente l’idée de mort dans un buisson de roses, et une femme voudrait mourir rien que pour inspirer des vers tels ceux-ci : « La mort viendra — Doucement vers une douce beauté comme la tienne, — Aussi doucement que le vent qui se faufile parmi les bosquets en fleurs — Pour détacher de l’arbre les pétales délicats. — Elle fermera tes yeux purs paisiblement, sans te faire souffrir, — Et nous nous fierons à Dieu pour te revoir plus tard. »

Au jugement d’Edgar Poe, ce passage seul suffirait à prouver que le poète avait du génie. Il faut le lire dans le texte[7]. Moins appréciables encore à travers une traduction sont ces passages de la plus fine et de la plus poétique observation où Bryant fixe des détails de vie animale entrevus pendant une excursion « Le bruant gazouillait sur les branches du hêtre, — Et sous la ciguë dont les branches lourdes ployaient, — Courbées par leur fardeau glacé, et laissaient à sec, — Sur la terre, un cercle de feuilles sèches, — La perdrix avait trouvé un abri » [8].

De tous les petits chefs-d’œuvre de Bryant, il en est un où se résume en vingt-quatre vers toutes ses qualités et toute sa philosophie, pièce sans titre qui commence par ces mots O Fairest of the rural maids. Selon le mot de Poe, c’est de la poésie « richement idéale », et l’une de ces perles à mettre dans une anthologie universelle, à côté des joyaux les plus rares. Ces vers forment une synthèse d’une si prodigieuse subtilité qu’il faut peut-être en marquer d’abord l’idée fondamentale. La jeune fille en laquelle Bryant incarne son rêve transcendant est la personnification même de la nature, et chacun de ses traits en rappelle un détail.

« O la plus belle des filles champêtres ! — Tu vins au monde dans les ombres de la forêt. — Des dômes verts, des aperçus de ciel, — Voilà ce que rencontrèrent d’abord tes yeux d’enfant.

« Tes premiers jeux, tes vagabondages — N’eurent jamais pour champ que le désert sylvestre ; — Et toute la beauté de cette scène — Est dans ton cœur et sur ta face.

« Le demi-jour des arbres et des rochers — Est dans l’ombre légère de tes cheveux ; — Ta démarche est pareille au vent qui ondule — Son chemin joyeux parmi les feuilles.

« Tes yeux sont des sources dans les sereines — Et silencieuses eaux desquelles on aperçoit le ciel ; — Leurs cils sont les herbes qui regardent — Leur jeune image dans le ruisseau.

« Les profondeurs de la forêt, vierges de pas, — Ne sont pas plus immaculées que ton cœur ; — La sainte paix qui remplit l’air — De ces calmes solitudes, y règne » [9].

Bryant est tout entier dans ce raccourci.

Two voices are there : one is of the sea
One of the monntain.

De ces deux voix, ni celle de la montagne, ni celle de la mer n’ont murmuré de secrets à son oreille ; sa poésie est la voix même de la Forêt, et la Forêt est sa muse. Sans être, comme Thoreau, un contempteur systématique de la civilisation, Bryant a ce culte un peu naïf de la vertu forestière et rurale, et, par ce côté, il touche au dix-huitième siècle, à celui de l’Emile et des Études. La nature n’est pas seulement douée de tous les charmes, mais aussi de toutes les puretés. Le mal s’arrête à la lisière des bois et l’âge d’or fleurit à l’ombre des grands arbres. Ce sont les idées qu’il exprime dans son Inscription pour l’entrée d’un bois :

« Tu ne trouveras rien ici — De tout ce qui te contristait dans les demeures des hommes — Et te faisait maudire la vie. »

Il croit que la lutte pour l’existence est une nécessité particulière aux humains et que, là où l’homme est absent, la vie s’écoule sans heurts et sans cruautés. Et il n’a tort qu’à moitié, car si l’idéale vertu règne en quelque lieu de la terre, c’est plutôt, on peut le concéder, dans les forêts vierges — s’il en est encore — que dans les hôtels de la cinquième avenue. Plutôt encore que parmi la vraie nature, où il ne pouvait guère s’échapper que de loin en loin, Bryant vécut au milieu de ses rêves, opprimé par la dure réalité. Aussi sentait-il bien que la grande et vraie libératrice est la mort ; il la saluait et l’appelait :

Libératrice ! — Dieu t’a sacrée pour délivrer les opprimés — Et écraser les oppresseurs !

Elle fit, à vrai dire, la sourde oreille, et mit une cinquantaine d’années avant de se décider à lui rendre son salut et à lui tendre la main.


III

Bryant répond admirablement à l’idée qu’on se fait d’un poète de la nature chez qui toute pensée, avant de se particulariser, a besoin de s’aller tremper dans les ombres forestières, parmi les feuilles vertes et les feuilles mortes. D’instinct, il fraternise avec la vie végétale, et c’est là qu’il prend ses rimes et ses métaphores, sa philosophie et sa mélancolie. Et tout cela est simple, se résume en un mot : accepter la vie, puisque tout est vie, la mort, puisque tout est mort ; plus brièvement, et d’après le mot du poète : communier avec la nature. Emerson nous emporte dans un monde beaucoup plus compliqué nous pénétrons dans les secrets des choses ; l’over soul, les au-delà s’entr’ouvrent devant nous. Qu’Emerson ait curieusement disserté en prose sur les plus délicates questions de la psychologie et de la métaphysique, des mœurs, de l’art, et en général sur toute matière à essais et à antithèse, tout le monde en convient. Son esprit était doué d’une pénétration rare, d’une originalité, un peu laborieuse, mais surprenante de pensée et de forme. Il est un des maîtres de l’analyse. Sans doute, principalement dans la littérature anglaise, il y a des poètes analytiques, comme Wordsworth, comme Shelley. L’un et l’autre pourtant ont d’autres qualités, l’un sa douceur et sa mélancolie intime, l’autre, avec la perfection de la forme, sa prodigieuse puissance d’idéalisation. Tout d’abord, Emerson n’est maître qu’à demi de la technique du vers et il se permet des négligences où l’on sent la faiblesse de la main à dompter le rythme. Mais on peut encore être poète, et, comme Lamartine, Byron, grand poète, malgré de graves inégalités, pourvu que, tout en étant incomplète, la forme soit originale. Or, ceci manque peut-être à l’auteur du Sphinx ; ce qui lui appartient en propre dans sa manière, ce sont surtout les défauts, l’obscurité et l’affectation. Faut-il cependant le ranger parmi ceux dont parle Wordsworth, les poètes doués des dons qui font le poète, hormis celui sans lequel les autres ne sont pas, le don du vers ?

Oh Many are the poets that are sown
By Nature : men endowed with highest gifts,
The vision and the faculty divine :
Yet wanting the accomplishment of verse.

On ne l’oserait pas. Laissons qu’il est moindre comme poète que comme prosateur, et acceptons avec ses manquements l’homme pénétré des mystères et des grâces de la nature, qui a écrit les Wood-Notes.

Le petit volume de vers d’Emerson peut se diviser arbitrairement en trois parties ; du moins l’inspiration y est-elle triple : poésie transcendantale, poésie d’amour purement humaine, poésie de la nature,

Say on, sweet Sphinx the dirges
Are pleasant songs to me.

« Parle, douce Sphynge, tes lamentations ont un charme pour moi ! » Qu’il soit malaisé de le partager et de se plaire à cette « énigme transcendantale », c’est sans doute la condamnation d’une poésie où l’obscurité simule, par des jeux d’ombre, une profondeur d’abîme. Goethe, qui s’est plu à cette poésie philosophique, est bien plus suggestif d’infini en quelques lignes de ses Pensées en vers, qu’Emerson en plusieurs pages. Et encore, la philosophie versifiée tourne si vite au lieu commun, nous ramène si aisément de l’infini au manuel élémentaire : « Là (plus loin que le soleil et les étoiles), le Passé, le Présent, le Futur, d’une même racine poussent en un triple jet ; les Substances divisées à la base sont unies au sommet ; là, l’essence sacrée circule une dans des âmes différentes. » Le géomètre qui nous dit que « à l’infini, un cercle est une ligne droite », parle un langage clair, sensé et original, au prix de celui-là. Dante, seul entre tous, a pu faire de la poésie avec les discussions, plus ardues encore, de la scolastique. Qu’on relise, au chant XVI du Purgatoire, la digression sur le libre arbitre : ni la poésie ne souffre de la rigueur théologique, ni la théologie de l’exigence poétique.

Le philosophe transcendant se borne-t-il à être homme et à mettre à nu ses sentiments d’homme, qu’il atteint, au contraire, çà et là, à la vraie et pure poésie. Ainsi le début de Threnody, d’un très beau mouvement :

The South-wind brings
Life, sunshine, and desire.

Ainsi encore, car Emerson n’a point l’artifice du trait de la fin, le début des stances To J. W .

 
Set not the foot on graves
Hear what wine and roses say.

Les petites pièces d’amour sont charmantes, toutes chastes. Le mot de l’énigme que le Sphinx garde mystérieusement dans sa cervelle de pierre, Eros le dévoile :

The sense of the world is short —

Long and various the report –
To love and be beloved.

« Aimer, se faire aimer. » Et les fleurs printanières appellent Hélène au milieu d’elles : Fais comme nous, « viens, viens vite ; nos cœurs se gonflent, nous fleurissons, et le vent que nous parfumons chante une chanson qui vaut la peine d’être écoutée ».

Mais Emerson n’a pas voulu être le poète de l’amour.

Il n’est aucun artiste, aucun poète, aucun penseur ou aucun rêveur, aucun être humain peut-être qui ne se fasse de la nature, c’est-à-dire de l’ensemble des choses, une idée différente de celle de son voisin[10]. Les couleurs sont ce que nos yeux les voient, chaque perception est comme une création ! Ce que peut être un arbre en soi, nous n’en savons rien ; seulement, l’arbre, chêne ou hêtre, nous donne une impression qui détermine l’idée que nous nous ferons du chêne ou du hêtre. En généralisant, il n’en va pas autrement : la nature simple, pure, bonne, belle, est une invention assez moderne, attribuée non sans raison à J.-J. Rousseau ; au fond, elle n’est ni bonne ni mauvaise, ni belle ni laide, ni pure ni impure ; elle est.

Emerson, avec son penchant au symbolisme, ne pouvait échapper à la tentation d’en faire une entité à laquelle il prête d’étonnantes vertus. C’est une illusion semblable à celle qu’on a notée chez Bryant. Avec un peu, non tout à fait de ce pédantisme, mais de ce ton doctrinal d’un essayiste qui n’a ni la bonhomie de Montaigne, ni la finesse de Charles Lamb, Emerson a exposé ses idées sur le sujet, en son dix-huitième essai intitulé Nature. Il s’agit des solitudes forestières et de leur influence réconfortante. L’Amérique avait alors, çà et là, des aspects de Thébaïde. Comme jadis les saints, en ces temps-là les romanciers, les poètes et les philosophes fuyaient le monde, allaient vivre au désert. Hawthorne fermait aux hommes les portes de son old manse ; Whinttrop vagabondait solitaire sur les bords de l’Orégon ; Thoreau, un civilisé retourné à l’état sauvage, demeurait au lac Walden, dans un log-hut édifié de ses mains, restait des années sans autre compagnie que les bêtes, les fleurs et les arbres. Tous fuyaient l’horreur d’une civilisation sans poésie et sans dignité. A ceux qui n’ont ni le loisir ni le courage de suivre ces exemples, Emerson conseille au moins d’aller de temps à autre se retremper dans la nature « Ses enchantements sont curatifs. » La saison poétique, c’est l’automne. Comme Bryant, Emerson aime cette saison mourante ; il y a dans sa poésie quelque chose d’automnal : « Octobre. Le jour incommensurablement long sommeille sur les larges coteaux, échauffe l’étendue des champs. Avoir vécu tout entier l’un de ces mois ensoleillés, il semble que cela vaille une vie entière. » A ces dithyrambes répétés, on pourrait mettre en épigraphe les vers de Spenser.

Then came the Autumn all in yellow clad,
As though he joyed in his plenteous store,
Laden with fruits that made him laugh.

Mais le vieux rimeur songe quelque peu à Bacchus ; nos deux poètes, sobres et chastes, à peine à quelque dryade rêvée.

Ah ! si l’homme du monde, nous dit Emerson, l’homme d’affaires, voulait seulement venir jusqu’à la lisière des bois : là commencent une sainteté et une sincérité religieuse, là tous ceux qui viennent en amis sont accueillis avec une sympathie profonde et qui jamais ne se dément.

« Car la nature est toujours fidèle — A celui qui se confie à sa fidélité — Quand la forêt m’aura égaré, — Quand la nuit et le matin auront menti, — La mer et la terre refusé de me nourrir, — Alors seulement, il sera temps de mourir. — Et encore à ce moment, mère, elle me donnera — Un oreiller dans son champ le plus vert. — Et les fleurs de juin ne dédaigneront pas de couvrir — Les restes de leur amoureux disparu[11]. »

C’est une sorte de culte, qu’en son panthéisme flottant, Emerson professe pour la nature. Pour lui, elle a du divin, elle n’est point profane. « Il semble qu’une journée n’a pas été tout entière profane, où quelque attention a été donnée aux choses de la nature. » Dans la tombée de la neige, le passage du vent qui ride la surface des eaux, la chute bruissante du grésil sur les feuilles mortes, la réflexion des arbres et des fleurs par le miroir d’un lac, le murmure odorant du vent du sud, il voit « les images de la plus ancienne religion ».

De pénétrer tout au fond en la métaphysique de la nature, selon Emerson, ce n’est ici le lieu, puisqu’on ne veut montrer que le poète, doué, à un haut degré, du sens champêtre, et il faut, renvoyant de plus profondes analyses à une étude sur le penseur, se borner à la notation des caractéristiques les plus notoires.

Emerson est un esprit religieux, s’il en est de tels hors de la religion même. L’homme qu’il comprend est sujet au mal, n’arrive au bien que d’un effort de volonté, et ce bien, quel est-il ? Nous retrouvons les systèmes vains et faux du XVIIIe siècle, la grande et déplorable hérésie de Jean-Jacques : le bien, c’est la conformité de la volonté individuelle avec la nature, bonne en soi et qui ne peut faillir. Même sa fréquentation panse les faiblesses morales comme les faiblesses corporelles : « Viens ! (c’est le pin forestier qui chante), viens t’étendre sous mon ombre calmante, y guérir les blessures que t’a faites le péché. » Facile absolution, mais quoi d’étonnant selon les idées du poète, puisqu’en cette même nature douée de tant de vertus on rencontre l’infini même, le Seigneur que Moïse vit en la forme d’un buisson ardent qui, sans se consumer, brûlait !

« Oh ! quand je suis à l’abri dans ma maison forestière, — Je foule aux pieds les vanités de la Grèce et de Rome ; — Et quand je m’étends sous les pins, — Où l’étoile du soir si saintement étincelle, — Je me ris de la science et de l’orgueil humains, — Des écoles des sophistes et du clan des docteurs, — car, que sont toutes ces choses, en leur plus haute expression, — Quand l’homme peut, dans un buisson, se rencontrer avec Dieu » [12] ?

Eh ! oui, Dieu se montre aux simples et aux croyants et aux purs en les mystères de la nature, mais celui-ci ne semble-t-il pas un peu vague, comme symbolique ou spinoziste ?

Laissons le prophète, et qu’il suffise d’achever le dessein de l’amoureux du calme champêtre, du sylvan home, de la cabane forestière et solitaire. A cette aspiration il revient en maints endroits. Il aime les « pauvres champs, les prairies basses, les étroits ruisselets, trouve un chez lui en des lieux du vulgaire méprisés ». Comme ses vers ; un peu rudes, pleins de reflets, donnent l’impression nette des renouvellements du printemps !

I bathe in the morn’s soft and silvered air,
And loiter willing by yon loitering stream…
Onward and nearer rides the sun of May,
And wide around, the marriage of the plants
Is sweetly solemnized.

Mais tous, il s’en faut, n’ont pas cette acuité des sens ; la plupart « ont des yeux et ne voient point ». Avant de rêver, Emerson regarde, et ses pensées, si haut qu’elles montent, ont ce point de départ et ce point d’appui, l’observation. C’est lui-même, ce voyant (Seer) dont les impressions sont notées dans les Wood-Notes, et qui, « à la saison où le sol se jonche des pommes du pin », est chez lui dans la forêt, comme César dans Rome. Voyant, c’est-à-dire poète ; aussi longe-t-il, « sans hameçon, ni lignes, le bord des ruisseaux, foulant les larges prés ». Il n’a « ni faux, ni fusil » et rien ne lui importe, ni les hommes, ni les cieux ; ce dont il se soucie, nul ne peut le lui donner, que la nature. C’est aux ombres, aux couleurs, aux nuages, aux larves, aux buissons qu’il s’intéresse, au pêle-mêle des choses. Il sait l’heure où les fleurs « ouvrent leurs boutons virginaux », pour secrets que soient leurss mystères, et le vent, peut-être, ou les oiseaux lui ont enseigné les retraites lointaines des orchidées. Lui, sans doute lui seul, voit les perdrix pondre dans les bois, entend le chant vespéral du coq de bruyère, « et le faucon peureux ne fuit pas à son approche ».

De l’infinité de choses que voit ce Voyant, le détail entraînerait à une trop minutieuse analyse, à des citations multiples et démesurées, système dont on craint déjà d’avoir abusé. Donc pour faire court et clair, notons l’impression définitive qui se retient d’une familière lecture des poésies d’Emerson. Sa conception de la Nature est une dualité la nature libre et spontanée est bonne ; l’autre est mauvaise, celle que l’homme a façonnée à ses égoïstes besoins. Le monde corrompt l’homme, la solitude le purifie. Conclusion tout à fait négative, puisque, aussi bien, non moins que les abeilles, les fourmis ou les castors, les humains furent destinés à la société par le Créateur ; et que l’état de la nature — lisez l’état sauvage — point de départ ou dégénérescence, n’est qu’un des rameaux ou que l’une des branches mortes de l’arbre généalogique des civilisations.

Mais le poète se garde, même reste bien loin du pessimisme relatif où devait l’entraîner cette opposition, et il juge que les deux états sont nécessaires c’est la théorie qu’il a développée en prose dans son Essai intitulé Compensation. Tandis que Bryant, d’une large vue, embrasse et unifie l’ensemble de la vie, Emerson la dualise, y cherche deux principes ; l’un y voit un enchaînement, l’autre, une bataille. Tous deux se rencontrent en cette conception de la continuité de la Nature. On dirait, si ce n’était une hérésie, qu’elle n’a ni commencement ni fin ; et de fait, si l’on restreint le sens des mots, on peut le dire. Emerson donne de cette idée de pittoresques formules : « On ne surprend pas la nature dans un coin. — On ne trouvera jamais le bout du fil. » C’est pourquoi on cherchera toujours, et c’est aussi pourquoi la Nature aura toujours ses poètes.

  1. A Biography of W. C. Bryant. New-York, 1883.
  2. Qu’est-ce que ce monde ? Quoi, sinon un immense cimetière sans murs — Jonché des dépouillesde la mort, des restes des animaux — Sauvages ou domestiques et plein d’ossements humains ? — Le sol même que nous foulons a vécu, — Et nous qui vivons, nous serons un jour la terre — Où l’on couchera nos fils ; et à leur tour — Eux-mêmes seront cela pour les leurs.
  3. The hills
    Rock-ribbed and ancient as the sun, the vales
    Stretching in pensive quietness between
    The venerable woods, rivers that move

    .

    In majesty, and the complaining brooks
    That make the meadows green ; and poured round all
    Old Ocean gray and melancholy waste,
    Are but the solemn decoration ail
    Of the great tomb of man.

  4. On ne prétend point diminuer ici le grand poète chrétien dont on place seulement la sensibilité en face de la sérénité de Bryant. Si l’impression semble trop dure, on la corrigera en lisant la belle étude que vient de lui consacrer M. Condamin, en un volume des plus attachants.
  5. L’honneur de cette traduction de l’Alouette de Shelley où, par un prestigieux tour de force, le rythme original est scrupuleusement conservé pendant les XXI strophes — revient à M. Paul Blier.
  6. Même traduction.
  7. To —
    Death should come
    Gently to one of gentle mould like thee,
    As light winds wandering through groves of blooms,
    Detache the delicate blossom from the tree,
    Close thy sweet eyes calmy and without pain
    And we will trust in God to see thee yet again.

  8. The snow-bird toittered on the beechers bough
    And neath the henuock, whose thick branches bent
    Beneath its cold burden, and kept dry
    A circle, on the earth, of withered leaves,
    The partridge found a shelter.

  9. Il faut me laisser citer en entier le texte anglais que j’ai tenu à traduire — comme il faut traduire les vers — littéralement. On ne doit prétendre qu’à donner un reflet de l’impression ressentie par celui qui les lit dans la langue originale ; car rien en somme, ne peut se traduire, pas plus un sonnet anglais par des mots français, qu’un tableau par des traits noirs.

    O fairest of the rural maids
    Thy birth was in the forest shades
    Green boughs and glimpses of the sky
    Were all that meet thy infant eye.

    Thy sports, thy wanderings when a child
    Were ever in the sylvan wild ;
    And all the beauty of the place
    Is in thy heart and on thy face.

    The twilight of the trees and rocks
    Is in the light shade of thy locks ;
    Thy step is as the wind, that waves
    His playful way among the leaves.

    The eyres are springs, in whose serene
    And silent water heaven is seen ;
    Their lashes are the herbs that look
    On their young figures in the brook.

    The forest depths, by foot unpressed,
    Are not more sinless than thy breast ;
    The holy peace, that fill the air
    Of those calm solitudes, is there.

  10. Et même, « on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière », disait Héraclite ; — « on ne voit pas deux fois le même objet », dit Emerson.
  11. For Nature ever faithful is
    To such as trust her faithfulness.
    When the forest shall mislead me,
    When the night and morning lie,
    When sea and land refuse to feed me,’Twill be time enough to die ;
    Then will yet my mother yield
    A pillow in her greenest field.
    Nor the June flower scorn to cover
    The clay of their departed lover.
    (Woodnotes, I.)

  12. O when I am safe in my sylvan home,
    I tread on the pride of Grèce and Rome ;
    And where I am streched beneath the pines,
    Where the evening star so holy shines,
    I laugh at the lore and the pride of man,
    At the sophist schools, and the learned clan ;
    For what are they all in their high conceit,
    When man in the bush with God may meet ?