Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne marchande pas l’éloge. Or Christine écrit son livre vers 1390, au beau temps du Duc de Berry, quand les peintres ont pris chez nous un rang prépondérant. Mais la bonne dame n’est pas sans avoir souffert de leurs incartades. Ils continuent la tradition du cabaret, et quand ils ont bu, ils sont peu maniables. « Pour parler un pou ou fet de leurs meurs (dit-elle en manière de réserve) je vouldroie que il pleust à Dieu, mais à eulx-mesmes, — car à Dieu il plairoit bien, — que leur vie fut communément plus sobre et non si dilicative, car la lècherie des tavernes et des friandises, dont ils usent à Paris, les peut conduire à maints maulx et inconvéniens. » Était-ce une allusion voilée aux émeutes des Maillotins, quand les corps de métier s’étaient livrés aux ordinaires plaisanteries de gens en goguette, entraînés par des meneurs : bris de clôture, pillage de boutiques, incendie, parfois assassinat ? Pour ceux qui se laissaient prendre, eussent-ils du génie, c’était le gibet de Montfaucon, la grande abbaye « dont nuls n’a sceu meshuy quitter la robbe. »

Nous sommes loin, on en juge, de ce que les maîtres de la peinture française deviendront au XVIe siècle, lorsque les littérateurs auront haussé le niveau et préparé la carrière d’élite que nous voyons aujourd’hui. Mais dès l’année 1391, après la destruction de la corporation et la mainmise par le Roi, les grands artistes du temps demandent une réglementation nouvelle qui sauvegardera l’honneur du métier. Déjà il n’est plus question des selliers ; les peintres ne sont plus que des peintres, et, s’ils consentent encore à décorer des meubles, ils ne les font plus.

Ces nouveaux statuts s’appuyaient sur de plus anciens, homologués au Châtelet de Paris. Ils étaient présentés par une trentaine d’artistes, peintres et sculpteurs imagiers, dont le premier en tête était Jean d’Orléans, peintre du Roi ; dont le second était Etienne Lenglier, peintre du Duc de Berry ; dont le troisième Colard de Laon travaillait à la fois pour le roi Charles VI et son frère le Duc d’Orléans. Tous les autres, Jean de Thory, Jean de Saint-Romain, Thomas Privé, Jean de Normandie, Robert Loizel ou Robin Loizeau, Adam Petit, etc., portaient des noms essentiellement français, sans ingérence ni de Flamands, ni d’Allemands, ni d’Italiens. On y voyait un Baudoin, un du Moulin, un Bernage, un Loyseau, un Bourion. Ils obtenaient de reconstituer la corporation, pour sauvegarder leurs droits et ceux des acheteurs. « Il est honteux, disaient-ils, d’apercevoir aux