Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4178
Mon cher philosophe, j’ai la vanité de croire que vous avez la même idée que moi. Vous voulez que Diderot entre à l’Académie ; vous le voulez, et il faut en venir à bout. Ne croyez point du tout que M. le duc de Choiseul vous barre ; je vous le répète, je ne vous trompe pas ; il se fera un mérite de vous servir, vous et les penseurs. Quoi ! vous imaginez qu’il vous en veut, parce qu’il a donné du pain à Palissot, fils de son homme d’affaires, et qu’il a souffert dans son antichambre son ancien préfet Fréron ! Il a laissé jouer la Palissoterie pour rire, pour complaire à l’extravagance d’une pauvre malade. Je vous jure que, si cette malade était morte le jour de la représentation, jamais l’auteur de la Vision n’eût été à la Bastille ; d’ailleurs il abandonne Palissot aux coups de bâton, si quelqu’un veut prendre la peine de lui en donner. Il y a très-grande apparence qu’il protégera Diderot. Il ne sera pas difficile d’avoir pour nous Mme de Pompadour ; l’évêque d’Orléans[1] ne parlera pas contre lui comme eût fait le mage Yebor[2], qui signait toujours l’âne évêque de Mirepoix, au lieu de signer l’anc. ; il croyait mettre l’abréviation d’ancien, et il signait son nom tout au long.
En un mot, il faut mettre Diderot à l’Académie : c’est la plus belle vengeance qu’on puisse tirer de la pièce contre les philosophes. L’Académie est indignée contre Lefranc de Pompignan ; elle lui donnera avec plaisir ce soufflet à tour de bras. Je ferai un feu de joie lorsque Diderot sera nommé, et je l’allumerai avec le réquisitoire de Joly de Fleury, et le déclamatoire de Lefranc de Pompignan, Ah ! qu’il serait doux de recevoir à la fois Diderot et Helvétius ! Mais notre siècle n’est pas digne d’un si grand coup. Bonsoir, âme ferme que j’aime.
J’ai, depuis six mois, une envie de rire qui ne me quitte point. Ne pourrais-je avoir quelques anecdotes sur Gauchat, Moreau[3], Chaumeix, Hayer, Trublet, et leurs complices ?