Aller au contenu

Ordre juridique

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Un ordre juridique (plus rarement système juridique) est un système autonome de droit objectif, par exemple le droit d'un État. Les disciplines qui étudient les ordres juridique sont le droit comparé et la sociologie du droit.

Les normes juridiques y cohabitent toujours avec des normes morales et éthiques.

Définitions

[modifier | modifier le code]

Selon Gérard Timsit, la notion d'ordre juridique est très vague, et les différentes explications données par les théoriciens du droit relèvent plutôt de la métaphore que de la description: ainsi Kelsen parle d'une pyramide, Dworkin d'un roman, Montesquieu d'une bouche[1].

Selon Hans Kelsen

[modifier | modifier le code]

Hans Kelsen, un des plus importants théoriciens du droit moderne, donne dans son Théorie pure du droit[2] une définition des systèmes juridiques qui a profondément influencé la pensée juridique contemporaine. Il est notamment le premier à faire la distinction entre le droit et la science du droit. Un de ses concepts clés est la "Grundnorm" ou "norme fondamentale". Cette norme est comme la pierre angulaire qui soutient et unifie toutes les autres règles et lois d'un système juridique.[3][4]

Kelsen voit le système juridique comme quelque chose qui se définit par lui-même et qui, en même temps, définit la communauté qu'il gouverne. Cela veut dire que tout groupe de personnes, qu'il soit un État ou non, est lié à un ensemble de règles et de lois. Par exemple, même un groupe comme la mafia aurait son propre système juridique s'il suit certaines normes. Pour Kelsen, un État est comme la représentation physique de son système juridique. Il pense qu'il n'y a pas de grande différence entre les systèmes juridiques des États et ceux d'autres types de communautés, tant que les normes sont respectées et mises en œuvre.

Concernant le droit international, Kelsen avait une vision "moniste". Il croyait en l'existence d'un seul et grand système juridique mondial qui inclut à la fois le droit international et national. Il considérait le droit international comme étant au-dessus des systèmes juridiques nationaux dans la hiérarchie.

Théorie de Joseph Raz

[modifier | modifier le code]

Joseph Raz propose une façon de savoir si un système juridique existe vraiment. Il dit qu'un système juridique n'existe que si les autorités chargées d'appliquer les lois le reconnaissent. Il met l'accent sur l'importance des "organes primaires d'application du droit". Ce sont les autorités, comme les tribunaux, dont les décisions sont finales et absolues. Ces organes aident à déterminer quelles lois font partie du système juridique.[5]

Raz critique l'idée qu'il y aurait un seul ensemble de règles pour déterminer si une loi est valide ou non. Il pense que, en plus des règles qui aident à reconnaître les lois valides, d'autres types de normes, comme celles qui donnent des pouvoirs spécifiques, sont aussi importantes pour juger de la validité des lois.[5]

Raz est considéré comme un "réaliste modéré" en matière de droit. Cela signifie qu'il reconnaît que les juges contribuent à créer le droit en interprétant les lois, mais leurs actions sont limitées par certaines règles et normes qui définissent l'autorité des principales institutions juridiques. Il voit aussi les systèmes juridiques comme étant en interaction avec d'autres systèmes, à l'intérieur et à l'extérieur de leur territoire. Pour Raz, les systèmes juridiques sont complets en eux-mêmes et revendiquent une sorte de supériorité sur d'autres systèmes institutionnels.[5]

Niklas Luhmann

[modifier | modifier le code]

Niklas Luhmann a développé une idée des ordres juridiques comme des systèmes autopoïétiques, c'est-à-dire qui se créent eux-mêmes.

Histoire du concept

[modifier | modifier le code]

Le concept d'ordre juridique est apparu dans la sociologie, notamment dans les travaux de Santi Romano et de Max Weber[6].

Dans des contexte de plurijuridisme, comme par exemple en droit de l'Union européenne, la notion d'ordre juridique sert à distinguer les différents tenants : ainsi on distingue l'ordre juridique de l'UE des ordres juridiques nationaux[7].

D'autre part, en droit comparé, dans la perspective du pluralisme juridique, la notion d'ordre juridique sert à appréhender les systèmes de droit des sociétés sans États, notamment ceux de divers peuples autochtone[8].

Le concept d'ordre juridique est aussi utilisé en droit international privé pour caractériser les systèmes de normes, étatiques ou non-étatiques, autonomes par rapport au for[9].

Dans plusieurs autres domaines des sciences juridiques, la notion d'ordre juridique permet aussi de penser l'internormativité, c'est-à-dire le rapport du droit à des systèmes normatifs différents, par exemple vis-à-vis de règles économiques ou spirituelles[10].

Références

[modifier | modifier le code]
  1. Gérard Timsit, « L’ordre juridique comme metaphore: », Droits, vol. n�� 33, no 1,‎ , p. 3–18 (ISSN 0766-3838, DOI 10.3917/droit.033.0003, lire en ligne, consulté le )
  2. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, coll. « La pensée juridique », (ISBN 978-2-275-01776-1)
  3. Landais 2017, Section 1. La conception de Hans Kelsen, p. 37.
  4. Landais 2017, Section 1. III. L’importance de la distinction entre le droit et la science du droit, p. 41.
  5. a b et c Landais 2017, Chapitre 2. Section 1. La conception de Joseph Raz, p. 70-87.
  6. Guy Rocher, « La pluralité des ordres juridiques », Revue générale de droit, vol. 49, no 2,‎ , p. 443–479 (ISSN 0035-3086, DOI 10.7202/1068526ar, lire en ligne Accès libre, consulté le )
  7. Brigitte Henry (dir.), Les influences de la construction européenne sur le droit français, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, coll. « Actes de colloques de l’IFR », , 57–75 p. (ISBN 978-2-37928-001-6, lire en ligne Accès libre), « L'influence de la construction d’un ordre juridique communautaire sur le droit constitutionnel français : L'intouchable droit constitutionnel français : mythe ou réalité ? »
  8. Laurent 2015.
  9. Didier Boden, « « Erga- » : Contribution sémantique et lexicale à une étude unifiée des relations entre ordres juridiques », Revue critique de droit international privé, vol. 1, no 1,‎ , p. 5–42 (ISSN 0035-0958, DOI 10.3917/rcdip.211.0005, lire en ligne Accès payant, consulté le )
  10. Boris Barraud, Qu'est-ce que le droit ? – Théorie syncrétique et échelle de juridicité, L'Harmattan, (lire en ligne Accès libre), p. 56

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • Aurélie Laurent, Plurijuridismes, juges suprêmes et droits fondamentaux : étude comparée entre l’Union européenne et le Canada, Université Toulouse 1 Capitole et Université d'Ottawa, (lire en ligne Accès libre), p. 4. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Guillaume Landais, Le concept de système juridique et l’argumentation de la Cour de justice de l’Union européenne, European University Institute, (DOI 10.2870/225470, lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Organisation juridictionnelle par pays

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]