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Accélérations urbaines

Les années de croissance et la « ville européenne » (années 1950-1970)

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Publié le lundi 14 octobre 2024

Résumé

Ce colloque vise à appréhender la modernisation de la fin des années 1940 au seuil des années 1980 en relisant la notion de ville européenne face aux « accélérations » de l’époque. La ville européenne est prise ici comme un espace spécifique en tension, et non comme la version réduite des grandes métropoles mondiales. Les trois axes d’enquête proposés interrogent, à travers la perception d’une « accélération », les manières de penser, gouverner, planifier, construire et contester la ville, à la croisée entreusages de l’histoire, pratiques de conception et projection des futurs urbains : accélérations spatiales, accélérations politiques, accélérations sociales.

Annonce

Argumentaire

« L'expérience de la modernisation est une expérience de l'accélération »

Harmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2010 (p. 36)

« Mais la tâche n° 1 qui attend vos élus, cela nous pouvons vous le révéler. C'est un phénomène explosif, sans précédent dans notre Histoire : l'expansion urbaine consécutive à la 'moisson de berceaux'. Une explosion, oui : il faut doubler Rouen. Délai : 25 ans. Et c'est inéluctable. »

« Rouen va doubler en 25 ans », Paris-Normandie, 3 mars 1965

Dans l'histoire de l'urbanisation du continent européen, les décennies de croissance des années 1950-1970 sont décisives : « La seconde moitié du XXe siècle couronne en Europe une aventure urbaine plus de deux fois millénaire. […] Brutalement, le temps s’est accéléré et l’espace amenuisé[1] ». Les villes font face, sur un temps extrêmement resserré, aux effets d’une croissance économique exceptionnelle, alors que les évolutions techniques et sociales transforment radicalement les pratiques de l'espace. La production bâtie, massive et industrialisée, rompt largement avec la morphologie urbaine ancienne, tandis que de nombreux quartiers, jugés insalubres, sont démolis pour laisser place à de nouvelles constructions. L'étalement urbain brouille la distinction ville-campagne et tend à redéfinir les limites et l’échelle de la cité, sur fond d'émergence des préoccupations environnementales. Si l'urbanisation du continent a représenté un défi dès le XIXe siècle, la singularité des années qui suivent la Seconde Guerre mondiale est certainement la perception partagée d'une accélération inédite de la transformation des villes et des sociétés.

Pourquoi reprendre l'examen de cette période ? En effet, une bibliographie riche a déjà éclairé notamment la manière dont les États se sont saisis de cette urgence par des politiques largement centralisées, allant de la Reconstruction aux villes nouvelles en passant par les grands ensembles[2], ainsi qu'au développement international de l'urbanisme[3]. Ce colloque invite à déplacer la focale et à appréhender les transformations des villes localement, en replaçant l'enquête au ras des sociétés urbaines. Car paradoxalement, ces dernières occupent rarement le premier rôle dans les travaux historiens sur les villes de cette époque. Les sociétés urbaines ont constitué le cœur des travaux sur l'émergence d'une « science communale[4] » au XIXe siècle, portée par les élites politiques, économiques et intellectuelles des villes du Vieux Continent, dont l’influence, exercée vers d'autres continents, a été démontrée par l’histoire transnationale. Mais, entre la très active « toile municipale » des années 1870-1930[5] et le « retour des villes européennes » à partir des années 1980[6], les décennies de l'après Seconde Guerre mondiale sembleraient marquer une relative éclipse des sociétés urbaines européennes alors même qu'elles connaissent des transformations rapides et profondes. Comment ont-elles vécues cette grande « accélération » ? Il s'agit ici, au-delà du lissage des synthèses par pays, de saisir dans le vif, autant socialement, politiquement que culturellement, les modalités locales multiples de la modernisation.

Se pose dès lors la question de la cohérence d'une pluralité d'expériences locales. Aussi, ce colloque propose également de mobiliser la notion de « ville européenne », certes discutable[7], en explorant sa validité durant les années de croissance. En s'inscrivant dans les dynamiques récentes de la recherche, il s'agit de contribuer à réinterroger l'histoire urbaine et architecturale européenne au sein du tournant global[8]. L'Europe est alors loin de former une entité uniforme. Divisée politiquement entre l'Ouest et l'Est par la guerre froide (un hiatus qui se ressent aujourd'hui dans la connaissance historiographique), elle ne l'est pas moins entre Nord et Sud, tant par la nature des régimes politiques (Portugal, Espagne, Grèce) que par les économies ou encore des pratiques différentes de l'aménagement urbain[9]. Il est cependant possible d'inverser la focale en replaçant le continent (défini au sens large) dans le contexte d'internationalisation et, bientôt de « mondialisation ». L'essor inédit des médias au cours des années 1950-1960 a entraîné une prise de conscience accrue des formes d'urbanisation en Amérique, en Asie ou ailleurs dans le monde. Dans quelle mesure l'idée même de « ville européenne » (dont on ne préjugera pas ici la définition) s'est-elle trouvée ainsi redynamisée et a-t-elle pu servir pour planifier la ville ? En s'intéressant à l'échelon des villes européennes, entendu ici comme une caractéristique, propre au continent, d'un réseau dense d'agglomérations de taille moyenne (de 200.000 à 1 ou 2 millions d'hab.), socialement différenciées et à forte régulation politique, peut-on resituer une trajectoire spécifique du continent dans la définition d'une urbanité contemporaine face à l'urbanisation accélérée du monde ? Par-delà les effets apparents de rupture, quelles sont les potentielles continuités, héritages locaux et adaptations en matière de planification urbaine et de gestion du patrimoine ?

Ce colloque vise donc à appréhender la modernisation de la fin des années 1940 au seuil des années 1980 en relisant la notion de ville européenne face aux « accélérations » de l'époque. La ville européenne est prise ici comme un espace spécifique en tension, et non comme la version réduite des grandes métropoles mondiales. Les trois axes d'enquête proposés interrogent, à travers la perception d'une « accélération », les manières de penser, gouverner, planifier, construire et contester la ville, à la croisée entre usages de l'histoire, pratiques de conception et projection des futurs urbains :

Accélérations spatiales

Le récit de la modernisation des villes européennes à partir des années 1940 a été marqué, via les travaux précurseurs issus de l'histoire de l'architecture[10], par une focalisation sur les opérations ou les réalisations signées par des architectes de renom, et sur les mutations des espaces de périphéries urbaines. Peu de travaux ont cependant tenté d'interroger ces transformations dans leur rapport au centre ancien et d’interroger le renouvellement de ce dernier par rapport à l’extension des villes. Quelles sont les références mobilisées par les opérateurs et quels liens tissent-ils avec l’histoire et la géographie locale ? Assiste-t-on à l’émergence d’une hétérogénéité des formes et des pratiques ou plutôt à une homogénéisation des villes ? Fait-on face à des villes qui se nucléarisent ? Les enjeux de la maîtrise foncière et le glissement de la lutte contre l’insalubrité vers une prise en considération des qualités du bâti ancien pourront ici être interrogés. Il s’agit ainsi de questionner la conception des formes et espaces produits selon une approche multiscalaire, reliant les enjeux urbains et architecturaux.

Accélérations politiques

L'Europe est marquée, davantage qu'aux États-Unis[11], par la place croissante de l'État dans la planification de la ville. On pourrait également ajouter la montée en puissance d'acteurs internationaux dans le champ de l'urbain, à travers la construction du projet européen et l'essor des organisations internationales (UN-Habitat, OCDE) qui se saisissent des questions urbaines et patrimoniales. Comment les élites locales (politiques, économiques ou culturelles) ont-elles recomposé leur espace de décision ? Comment les injonctions nationales en matière d’urbanisme et de protection patrimoniale sont-elles appropriées, débattues ou amendées ? Comment continue à peser, localement, l'investissement de notabilités locales dans la fabrique de la ville ? En France, des travaux récents ont abordé le cas de certaines métropoles régionales comme Lyon[12], Metz[13] ou Fos-Marseille[14]. Est-il possible, à partir de ces approches monographiques solides et de synthèses nationales récentes, de proposer une lecture européenne, dépassant la partition Est/Ouest imposée par la Guerre froide et nourrissant une histoire transcendant les récits canoniques[15] ?

Accélérations sociales

Depuis une quinzaine d'années, les historiographies anglaises ou germaniques ont souligné l'importance des sociétés urbaines locales et leur capacité de mobilisation et d'innovation[16]. Des programmes en cours questionnent la manière dont, localement, les sociétés urbaines travaillent le récit de la modernisation ou de la « crise urbaine » en se positionnant avec / contre un contexte national ou international[17]. Il s'agit ici de replacer pleinement les sociétés urbaines (locales) comme scène en tension, dans le contexte de leur époque (de plus en plus global[18]) qui est à la fois celui d'un bouleversement des structures sociales (développement de la classe moyenne, mobilités accrues, immigrations nouvelles) ; d'une mutation des cadres politiques (montée en puissance de l'État, construction européenne, essor des politiques internationales) et d'un élargissement inédit des horizons qui repose la question du caractère proprement « européen » des villes européennes (découverte de l'urbanisation américaine principalement, diffusion d'un « style international », comparaison avec l'urbanisation du « Tiers-monde », montée des enjeux environnementaux[19]). Il s'agit de voir comment évaluer une voie spécifiquement européenne de la modernisation urbaine.

Les contributions, en anglais ou en français, pouvant provenir de disciplines variées, devront s'inscrire dans une démarche historique relevant de l'histoire urbaine ou de l’histoire de l’architecture. Les approches croisées ou comparatives sont les bienvenues, tout comme les entrées monographiques thématisées, valorisant notamment des sources locales et inédites.

Modalités de contribution

Les propositions sont à envoyer en format pdf, au plus tard le 12 décembre 2024

à l’adresse accelerations@nancy.archi.fr. Elles seront composées d’un argumentaire d’une page environ, accompagné de la mention des sources mobilisées et d’une bibliographie succincte, ainsi que d'un court CV (une seule page).

Calendrier :

  • Décembre 2024: réception propositions
  • Janv-Fév. 2025: choix des intervenants
  • Mars-Avril 2025: élaboration et diffusion du programme
  • 1er 2025 : réception des papiers
  • 2025: colloque

Comité d’organisation

Gauthier Bolle (ENSA Strasbourg), Cédric Feriel (Université Rennes 2) et Pierre Maurer (ENSA Nancy).

Comité scientifique

  • Laurence Bassières (ENSA Paris-la-Villette) ;
  • Emmanuel Bellanger (CHS Paris 1) ;
  • Angelo Bertoni (ENSA Strasbourg/AMUP) ;
  • Denis Bocquet (ENSA Strasbourg/AMUP) ;
  • Filippo De Pieri (Politecnico Turin) ;
  • Laurent Coudroy de Lille (Institut d'urbanisme de Paris) ;
  • Stéphane Frioux (Université Lumière Lyon 2) ;
  • Carola Hein (TU Delft) ;
  • Claudine Houbart (Université de Liège) ;
  • Gwenaelle Le Goullon (Université Jean Moulin Lyon 3) ;
  • Thomas Renard (Université de Nantes) ;
  • Loïc Vadelorge (Université Gustave Eiffel, Marne-la-Vallée) ;
  • Céline Vaz (Université Polytechnique des Hauts de France) ;
  • Christiane Weber (IFAG, Université de Stuttgart).

Notes

[1]      Guy Burgel, « La ville contemporaine de la Seconde Guerre mondiale à nos jours », dans Jean-Luc Pinol (dir.), Histoire de l’Europe urbaine II. De l’Ancien régime à nos jours, Paris, Seuil, 2003, p. 555.

[2]      Pour les seuls cas français et britanniques, citons Kenny Cupers, La banlieue, un projet social. Ambitions d'une politique urbaine, 1945-1975, Marseille, Parenthèses, 2018 ; Danièle Voldman, La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d'une politique, Paris, L'Harmattan, 1997 ; Loïc Vadelorge, Retour sur les villes nouvelles. Une histoire urbaine du XXe siècle, Paris, Créaphis, 2013 ; Gwenaelle Le Goullon, Les Grands ensembles en France. Genèse d'une politique publique. 1945-1962, Paris, CTHS, 2008 ; pour le cas britannique, citons Stephen V. Ward, Planning and Urban Change, London, Paul Chapman, 1996 ; The Peaceful Path: Building Garden Cities and New Towns, University of Hertfordshire Press, 2016 ; Mark Clapson, Invincible Green Suburbs, Brave New Towns: Social Change and Urban Dispersal in Postwar England, Manchester, Manchester University Press, 1998.

[3]      Carola Hein (ed), The Routledge Handbook of Planning History, New York, Routledge, 2017.

[4]      Pierre-Yves Saunier, Shane Ewen (dir.), Another Global City. Historical Explorations into the Transnational Municipal Moment (1850-2000), Basingstoke, New York, Palgrave Macmillan, 2008.Renaud Payre, Une science communale. Réseaux réformateurs et municipalité providence Paris, CNRS Editions, 2007.

[5]      Pierre-Yves Saunier, « La toile municipale aux XIXe-XXe siècles : un panorama transnational », Urban History Review / Revue d'histoire urbaine, vol. 34, n° 2, 2006, p. 43-56.

[6]      Patrick Le Galès, Le retour des villes européennes. Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

[7]      Harmut Kaelble, « La ville européenne au XXe siècle », Revue économique, vol. 51, n° 2, 2000, p. 385-400.

[8]      « L'histoire européenne après le tournant global », dossier coordonné par David Montadel, Les Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 76, n° 4, 2021, p. 667.

[9]      Eszter Gantner, Heidi Hein-Kricher, Oliver Hochadel, Interurban Knowledge Exchange in Southern and Eastern Europe, 1870-1950, New York, Routledge, 2020.

[10]   Leonardo Benevolo, History of Modern Architecture, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1966 ; Kenneth Frampton, Modern Architecture. A Critical History, London, Thames & Hudson, 1980 ; William J.R. Curtis, Modern Architecture Since 1900, Oxford, Phaidon, 1982.

[11]   Daniel T. Rodgers, Atlantic Crossings. Social Politics in a Progressive Age, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, Belknap Press, 1998.

[12]Marie-Clotilde Meillerand, Penser l’aménagement d’une métropole au 20ème siècle. Enjeux territoriaux, acteurs locaux et politique publique dans la région lyonnaise, thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Jean-Luc Pinol, soutenue en 2010.

[13]   Pierre Maurer, Architectures et aménagement urbain à Metz (1947-1970). Action municipale : la modernisation d’une ville, thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Hélène Vacher et de Anne-Marie Chatelet, soutenue en 2018.

[14]   Xavier Daumalin, Gilbert Buti, Fabien Bartolotti, Olivier Raveux (Dir.). L’histoire portuaire marseillaise en chantier. Espaces, fonctions et représentations, XVIIe-XXe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2022.

[15]   Céline Pessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil (dir.), Une autre histoire des "Trente Glorieuses". Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre, Paris, La Découverte, 2013.

[16]   Jorn Duwel, Niels Gutschow (dir.), A Blessing in Disguise. War and Town Planning in Europe (1940-1945), Berlin DOM Publishers, 2013 ; John Pendlebury, Erdem Erten, Larkham Peter, Alternative Visions of Post-War Reconstruction, New York, Routledge, 2015 ; Martin Baumeister, Bruno Bonomo, Dieter Schott (dir.), Cities Contested. Urban Politics, Heritage, and Social Movements in Italy and West Germany in the 1970s, Frankfurt, Campus Verlag, 2017.

[17]   Marlon Barbehön, Sybille Münch, « Interrogating the city: Comparing locally distinct crisis discourses », Urban Studies, vol. 54, no 9, 2017, p. 2072‑2086 ; Marlon Barbehön, Sybille Münch,  « The ‘distinctiveness of cities’ and distinctions in cities: boundaries of belonging in comparative perspective », Urban Research & Practice, vol. 9, 2016, p. 37‑55.

[18]   Niall Ferguson, Charles S. Maier, Erez Manela, Daniel J. Sargent (eds), The Shock of the Global. The 1970s in Perspective, Cambridge (Ma.), Havard University Press, Belknap Press, 2010.

[19]   Tims Soens, Dieter Schott, Michael Toyka-Seid, Bert de Munck (eds), Urbanizing Nature. Actors and Agency (Dis)connecting Cities and Nature since 1500, New York, Routledge, 2019 ; François Jarrige, Thomas Leroux, La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l'âge industriel, Paris, Seuil, 2017 ; Stéphane Frioux (dir.), Une France en transition ? Urbanisation, risques environnementaux et horizon écologique dans le second XXe siècle, Ceyzérieu, Champs Vallon, 2021.

Lieux

  • ENSA Strasbourg - 6-8 Bd du Président-Wilson
    Strasbourg, France (67)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • jeudi 12 décembre 2024

Mots-clés

  • ville européenne, urbanisme, modernisation, politique publique, pratique, gouvernance

Contacts

  • Julie Ambal
    courriel : accelerations [at] nancy [dot] archi [dot] fr

Source de l'information

  • Julie Ambal
    courriel : accelerations [at] nancy [dot] archi [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Accélérations urbaines », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 14 octobre 2024, https://doi.org/10.58079/12hdg

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