Bande dessinéeRetour aux racines pour le colossal Craig Thompson
Avec «Ginseng Roots», l’Américain revient à l’autobiographie, genre qui avait forgé son succès en 2003 avec «Blankets».
- Craig Thompson revient avec le roman graphique «Ginseng Roots».
- L’œuvre explore l’enfance de Thompson dans le Wisconsin rural.
- Elle traite aussi de la culture du ginseng et des relations sino-américaines.
- Au final, un récit à la fois autobiographique et d’enquête, fouillé et graphiquement réussi.
Émouvant et une fois de plus colossal… Avec «Ginseng Roots», roman graphique en forme de pavé de près de 450 pages, Craig Thompson ne se contente pas de revenir à la bande dessinée, près de dix ans après sa dernière publication, mais signe aussi son retour à l’approche autobiographique qui avait fait le succès de son «Blankets» de 2003. Cette œuvre l’avait placé sur l’orbite des auteurs de BD en vue en raflant de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Eisner.
En vingt ans, le dessinateur n’a malheureusement pas multiplié les publications. Préoccupé par l’Orient, son «Habibi» de 2011 s’attirait les bonnes faveurs de la critique, exception faite de quelques voix discordantes qui criaient à l’appropriation culturelle, tandis que son «Space boulettes» de 2015, destiné aux enfants, ne trouvait pas ce nouveau public…
Dans cette perspective, «Ginseng Roots» revêt un caractère exceptionnel, renouant non seulement avec l’enfance de l’auteur mais donnant aussi des nouvelles sur un passé récent marqué par une maladie dégénérative qui menace son activité et une crise d’inspiration que ce dernier travail est venu salutairement interrompre.
La terre de l’enfance
Craig Thompson n’a pourtant pas conçu ce livre comme le satellite de son nombril. La star en demeure ce fameux ginseng, dont on apprend que les États-Unis en produisent des quantités importantes. Grandi à Marathon, dans le Wisconsin, Thompson a justement gratté le sol de ses propres mains, en compagnie de son petit frère, Phil, pour déterrer la racine alors intensivement cultivée dans la région.
Cette connaissance intime d’une agriculture incertaine – un champ ne pourrait jamais porter deux fois du ginseng – et économiquement périlleuse – malgré des cours parfois très hauts – le mène sur la piste d’une véritable enquête autour de cet ingrédient essentiel des médecines asiatiques.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ces pages ingénieusement conçues en une étonnante bichromie noir et rouge – couleur de la fleur de ginseng – que de suivre en parallèle l’évolution de cette culture industrieuse et le développement des frères Thompson. Les deux garçons se paient leurs premières généreuses collections de comics avec le fruit de leur labeur dans les champs.
Enquête sur le ginseng
Dans le même mouvement, le Craig d’aujourd’hui rend visite à de nombreux producteurs américains actuels, certains descendants des Hmong (peuple du sud asiatique) venus servir de main-d’œuvre, et finit par s’envoler jusqu’en Chine, où il compte de nombreux fans grâce au piratage de son travail, sur les traces de la culture asiatique du ginseng, abordée aussi dans ses mythes et croyances.
Taraudé par le doute, le dessinateur craint autant de nouvelles accusations d’appropriation culturelle que la détérioration des articulations de ses mains. Lors de réunions familiales, il revient aussi sur la façon dont ses parents avaient reçu «Blankets», roman graphique où il dépeignait son éducation de manière sombre et confessait avoir perdu cette foi portée avec tant d’ardeur par ses géniteurs.
Rythmé par des trouvailles graphiques profuses, «Ginseng Roots» parvient ainsi à renouer avec une veine très personnelle tout en creusant avec sérieux une thématique qui lui permet d’aborder au passage les relations sino-américaines. Tout cela sur le fil d’une racine en forme d’homoncule, petite créature qui parsème de clins d’œil ces pages habilement rougies.
«Ginseng Roots», Craig Thompson, Éd. Casterman, 448 p.
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