François Truffaut : "La Femme d'à côté, c’est un film d’Edith Piaf."
A l'occasion de la sortie de son vingtième long-métrage, La Femme d’à côté, Luce Vigo s'entretient en 1981 avec Fr1
Bernard vit heureux avec sa femme et ses enfants. Un jour, un couple s'installe près de chez eux. Elle, c'est Mathilde, son amour tempétueux d'il y a sept ans.
Sur leur tombe, on a inscrit "Ni avec toi, ni sans toi". Madame Jouve, qui a bien connu Bernard et Mathilde, raconte comment la passion a dévoré le couple. Chacun pourtant avait "refait sa vie" avec succès, mais il y a des sentiments plus forts que tout... Dans la lignée de "La Peau Douce" et "Les Deux Anglaises...", l'avant dernier film de Truffaut et l'un des plus douloureux # Version restaurée et remastérisée HD
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" Le premier des mérites de la Femme d’à côté est (...) de raconter l’histoire d’un senti
" Le premier des mérites de la Femme d’à côté est (...) de raconter l’histoire d’un sentiment amoureux dont la nature n’est pas, a priori, pour bouleverser si peu que ce soit l’ordre établi (...) La passion n’y est que plus dérangeante, plus impudique d’être décrite avec une grande pudeur, plus scandaleuse de ne pas se parer des ornements lyriques ou décoratifs sans lesquels elle n’a guère coutume d’apparaître. Bien qu’il ait un tempérament très éloigné de celui des surréalistes et qu’on ne puisse guère dire que son cinéma soit bunuélien, il semble que Truffaut, avec la Femme d’à côté, ait fait son film d’amour fou et, en quelque sorte, son Age d’or.
Sans éclats, sans précautions oratoires ni fanfares d’aucune sorte, il observe avec un intérêt fiévreux mais contenu, comme un voyeur qui entend demeurer lucide et ne pas se perdre dans sa manie, le cheminement de ce phénomène extraordinaire qu’est la passion amoureuse. Il souligne son caractère de subversion. Autour des amants, les événements dont la modestie n’empêche pas qu’on puisse immédiatement saisir leur caractère insolite se multiplient : un petit incendie se déclare, on entend des bruits la nuit autour d’une maison sans qu’on sache s’ils sont vraiment produits par des rôdeurs, le petit film qu’on va voir en ville raconte une étrange histoire de mort qui marche, la robe de la femme aimée ne veut plus tenir qu’à un fil et c’est au beau milieu d’une garden-party qu’elle glisse (impossible, dans cette scène, de ne pas entendre l’écho lointain de l’Age d’or).
Dans la Femme d’à côté, le cinéma nous redonne enfin l’occasion de voir comment la passion fausse le mécanisme des jours, comment son esclave est la seule liberté à laquelle nous puissions prétendre, comment une sorte de fraternité silencieuse s’établit entre les êtres qui en ont été touchés et qui se reconnaissent à des signes invisibles (comment expliquer autrement le personnage de cette femme qui a voulu se suicider par amour et qui finit sa vie comme la Simone Simon du Plaisir, mais solitaire et sereine, comment expliquer autrement la présence de cet éditeur qui a choisi de partager la vie d’un homme et qui sert si peu à l’agencement dramatique du film ?).
Ajoutons que ces choses ne vont pas sans un érotisme infiniment plus troublant que celui auquel le cinéma récent nous a accoutumés. Parfois, on songe à un autre surréaliste, à Desnos, dont les « douleurs de l’amour », ces « muses exigeantes », se cristallisent autour du fard, de la poudre, du rouge, du sac de peau de serpent, des bas de soie de la femme aimée. « Douleurs de l’amour, écrivait-il, comme vous m’êtes nécessaires et comme vous m’êtes chères. » La Femme d’à côté, beau film intimiste où la violence a ceci d’admirable qu’elle n’ignore pas la politesse, a la noble fonction de nous remettre leur nécessité en mémoire."
"Ce n’est plus tellement un secret. On peut donc le dire : il y a deux Truffaut. Deux auteurs pour une œuvre double. Un Tr
"Ce n’est plus tellement un secret. On peut donc le dire : il y a deux Truffaut. Deux auteurs pour une œuvre double. Un Truffaut-Jekyll et un Truffaut-Hyde qui, depuis plus de vingt ans, font mine de s’ignorer. L’un respectable et l’autre louche, l’un rangé et l’autre dérangeant. Tôt ou tard, ils devaient se rencontrer, se partager un film comme on se partage un territoire. Avec la Femme d’à côté, c’est fait. C’est une date, c’est aussi un très bon film, l’un des meilleurs de la maison Truffaut and Co. Je m’explique.
Le Truffaut-Jekyll plaît aux familles. Il les rassure. Il y a toute une série de films signés François Truffaut qui ne sont rien d’autre que la tentative, plus ou moins réussie, de reconstruire des familles. Etrange projet, bien loin du « famille, je vous hais » que l’on avait cru (à tort) entendre dans son premier film (Les Quatre cents coups). La façon dont Truffaut-Jekyll procède est toujours la même : il pratique une sorte de chimie des affinités et des incompatibilités et à partir d’un élément isolé (par exemple un enfant perdu ou trouvé), il essaie de voir dans quel ensemble on peut l’intégrer, combien de personnages on peut ainsi additionner (un plus un plus un...), jusqu’à ce qu’il y ait saturation. Ces ensembles s’appellent la Famille (adoptive), la Culture, la Société, le Cinéma (Truffaut est un héritier des grands cinéastes du passé).
Le ménage à trois (de Jules et Jim au Dernier métro) est un des cas de figure possible. Mais savoir si un enfant « sauvage » peut être repris dans la famille Homo Sapiens, sous la férule émue du professeur Truffaut-Itard, est un autre cas de figure (L’Enfant sauvage). Cette chimie édifiante culmine dans la Nuit américaine où le tournage d’un film est prétexte à montrer « la grande famille du cinéma » et dans le Dernier métro où, cette fois, la famille est une troupe théâtrale en France occupée avec le branchement astucieux d’un auteur juif à la cave, d’une actrice blonde sur scène et d’un jeune premier amoureux et résistant à la ville.
Tous ces petits mondes sont, si l’on veut, la partie Renoir de l’iceberg Truffaut, mais sans le mélange de cruauté et de bienveillance bourrue propre à Renoir. Il y a aussi l’idée d’un théâtre social d’où toute pulsion trop violente doit être gommée, l’idée d’une réconciliation de tous avec tous, un œcuménisme assez craintif.
Le Truffaut-Hyde est tout le contraire. Asocial, solitaire, passionné à froid, fétichiste. II a tout pour faire peur aux familles car il les ignore absolument, occupé qu’il est à vivre des passions exclusives et privées. Il y a ainsi toute une série de films signés François Truffaut centrés sur des couples bizarres et stériles, dégageant un fort parfum de cadavre ou d’encens. Des coupes composés d’un homme et d’une effigie : femme vivante ou morte, image de femme, défilés de femmes, cuisse de femme. Les films de cette série furent toujours des semi-échecs commerciaux et la maison Truffaut et Co, soucieuse de son image de marque, fit en sorte que la branche Hyde ne sorte pas trop souvent, sinon en rasant les murs. La Peau douce, l’Homme qui aimait les femmes, la Chambre verte, appartiennent à cette série Fantasmes de collectionneur : l’Homme qui aimait les femmes (et qui en meurt), est un beau film sur la solitude de l’homme qui ne change pas auprès des femmes, qui, à ses côtés, se succèdent. Car ce n’est pas telle ou telle femme qui compte, mais la place, toujours la même, qu’elles occupent tour à tour.
Ce qui compte, disait Lacan de Don Juan, c’est qu’il les a « une par une ». Cette place, c’est un autel où l’on adore en secret une effigie, une femme de cire (la Chambre verte). Un geste de plus, et les familles sont choquées.
Truffaut-Hyde et Truffaut-Jekyll se rencontrent dans la Femme d’à côté (...) le film où Hyde prend sa revanche sur Jekyll ? Pas exactement. Ce n’est pas non plus un hymne libertaire à l’amour fou, même si on y entend l’écho de cette scène célèbre de l’Age d’or où un couple fait bruyamment l’amour au milieu d’une réception mondaine. Mais ce qui est un gag léger chez Bunuel représente pour Truffaut un horizon lointain. L'adultère, pour lui, n’est pas un sujet frivole, plutôt du travail supplémentaire. Non, si la Femme d’à côté est un film si réussi et, finalement, si émouvant, c’est parce que Truffaut, ennemi de l’exibitionnisme des passions et des idées, homme du juste milieu et du compromis, essaie cette fois de filmer le compromis lui-même, d’en faire la matière, la forme même de son film. Non plus compromis au sens péjoratif de « compromission » mais, comme on dit chez les freudiens, « formation de compromis » (...)
Vers la fin du film, quand Depardieu vient relancer Fanny Ardant dans sa cuisine (tous les deux sont très énervés), celle-ci a le réflexe de lui dire quelque chose comme " si on te demande pourquoi tu es venu, dis que tu es venu réparer le congélateur". Cette précaution dérisoire, cette façon désespérée de tenir encore au réel, est ce qu’il y a de plus vrai dans le film.
Ce congélateur (que nous ne verrons jamais) est ce qui me touche le plus dans la Femme d’à côté. Plus même que la passion fatale des amants. Ce congélateur, il a fallu l’inventer. Ce n’est rien et ce n’est pas rien, cette invention scénarique à laquelle Truffaut (et Suzanne Schiffman) est contraint afin de faire entendre Jekyll chez Hyde et vice versa. De même quand, par accident (par accident, my foot !), la robe de Fanny Ardant se déchire, la laissant presque nue au milieu des autres, nous sommes en pleine formation de compromis : ce gag satisfait à tous les désirs : elle veut être nue devant tous (hystérie), il veut qu’on la voie nue, le spectateur veut voir l’actrice nue, Truffaut veut bien la lui montrer, etc... C’est ce jeu des quatre coins du désir qui oblige à toujours inventer. C’est un « vieux jeu », certes, mais Truffaut le joue comme personne.
J’aime la façon dont les deux amants traversent le film, les autres, et les lieux comme un paysage. Désertique et familier. Pourtant, Truffaut ne filme plus de paysage mais uniquement des corps et des objets. Quand Depardieu, ayant perdu la tête, poursuit et frappe la femme qu’il aime devant les autres consternés, au milieu d’eux, comme s’ils n’existaient plus. Quand les deux scénarios coexistent, quand on hésite entre le gag et le scandale. Un paysage que Truffaut est capable de brosser de plus en plus vite, avec une grande virtuosité. Car, par un paradoxe qui n’appartient qu’à lui, son art du compromis le précipite vers un cinéma risqué, sans filet.
Dans la Femme d’à côté, l’art de la mise en scène est devenu assez ample et assez libre pour loger dans le même souffle Hyde et Jekyll."
" « Tu m'as dit je t’aime - Je t'ai dit attends - J'allais dire prends-moi - Tu m’as dis va-t-en. &
" « Tu m'as dit je t’aime - Je t'ai dit attends - J'allais dire prends-moi - Tu m’as dis va-t-en. » Le lecteur se souvient peut-être de cette ritournelle. Jeanne Moreau la chantait au début de Jules et Jim il y a tout juste vingt ans. Le temps a passé. François Truffaut réalisait alors son troisième long métrage. Il vient avec la Femme d’à côté de signer son vingtième. Pourtant, l’air est toujours le même et seuls changent les couplets qui tour à tour disent l’enfance, la difficulté d’être deux, que la vie n’est pas facile quand on est amoureux, qu’être toujours synchrones n’existe qu’au cinéma. Nouvelle variation (comme on le dit de Bach brodant sans fin sur un motif constant) de ce thème éternel, immédiatement sensible pour tout public et qui ne doit pas être pour rien dans la faveur que celui-ci prodigue à Truffaut, la Femme d’à côté renoue avec le thème du couple. A aime B qui a aimé et a été aimé de C qui aujourd’hui aime D, quoi de plus simple en vérité ?
B et C, ce sont Gérard Depardieu et Fanny Ardant qui se sont connus sept ans plus tôt, aimés follement, séparés violemment. Aujourd’hui, les hasards d’un déménagement les remettent en présence. (…) Une fois de plus, l’univers de François Truffaut (pour citer le titre du livre sans doute le plus juste qui lui ait été consacré) est ouvertement, violemment, romanesque. Le récit est construit, extrêmement construit, et se donne d’emblée comme tel, cumulant le savant de l’organisation méthodique des coïncidences tel qu’on peut le trouver chez un Eric Rohmer (à qui un hommage explicite est rendu à un détour de phrase) et le merveilleux des rencontres tel que chez Jacques Demy.
(...) Mais, au-delà de ces références, ce qui caractérise le plus le film est une immense tendresse érigée en vertu morale.(...) Cette tendresse est d’autant plus évidente que ce nouveau film se situe à mi-chemin entre ce que j’appellerai (en les différenciant uniquement par le mode de récit et plus précisément par le choix du récitant, le ton de sa diction) les fictions brûlantes (les Deux Anglaises et le Continent, l’Histoire d’Adèle H) et les fictions froides (La Chambre verte).
(...) Comme toutes ces « fictions tièdes », si on veut bien me passer le terme qui n’a rien de péjoratif, on a affaire là à la part la plus tenue, la plus fragile, de l’œuvre de François Truffaut. De plus, le fait que l’histoire soit réduite à quelques personnages et singulièrement aux deux principaux (Truffaut s’en explique en disant qu’après un film à six ou sept personnages d’importance; égale, il a voulu revenir à la discipline inverse avec une histoire plus serrée construite autour d’un couple et les conjoints gardés volontairement à l’arrière-plan), le fait que les péripéties soient plus ou moins connues, ou à tout le moins devinables à l’avance, renforce ce sentiment d’incertitude quant à la profondeur de l’œuvre. Certains y verront sans doute une faiblesse. Je préfère y voir une merveilleuse liberté d’esprit pour regarder le film avec l’œil du metteur en scène.
Il y avait longtemps qu’un film ne m’avait laissé aussi dispos pour, sans rien retirer au plaisir premier du spectacle, vivre ce plaisir second qui est celui de l’intelligence et que Barthes appelait le Plaisir du texte : à chaque plan se demander, pourquoi avoir choisi un cours de tennis, ou, pourquoi, là, faire bouger la caméra, ou, pourquoi brusquement ralentir le récit. Bref, imaginer tous les autres plans possibles contre le plan proposé pour découvrir que quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent (et encore le un pour cent restant en matière de subjectivité, je ne suis pas sûr que j’aurais fait un deuxième insert sur les jarretelles par exemple afin de laisser intacte la force émotive du premier) François Truffaut a choisi la solution la plus juste, la plus exacte par rapport à son intention de mise en scène. C’est ça le cinéma."
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