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Comptes rendus

Laurent Coudroy de Lille, Jacques Brun, Guy Burgel, Gilles Montigny, Marie-Vic Ozouf-Marignier (dir.), Marcel Roncayolo, sur les pas d’un géographe singulier

Marseille, Éditions Parenthèses, coll. « Architecture », 2023
Joanne Vajda
Référence(s) :

Laurent Coudroy de Lille, Jacques Brun, Guy Burgel, Gilles Montigny, Marie-Vic Ozouf-Marignier (dir.), Marcel Roncayolo, sur les pas d’un géographe singulier, Marseille, Éditions Parenthèses, coll. « Architecture », 2023, 350 p.

Texte intégral

  • 1 Cela est précisé dans plusieurs de ses publications et dans des entretiens qu’il a accordés. Voir p (...)

1À travers cette publication, une quinzaine d’auteurs et d’autrices rendent hommage à Marcel Roncayolo (1926-2018), qu’ils ont connu et aux côtés duquel ils ont fait un bout de chemin, sur le plan intellectuel ou en arpentant la ville. L’ambition est d’éviter le recueil de témoignages personnels et de permettre à la fois une meilleure contextualisation et un regard critique sur l’itinéraire intellectuel de Marcel Roncayolo, afin de montrer ses spécificités, mais aussi la manière dont se sont élaborées ses lectures de villes. Peut-on réduire Marcel Roncayolo à un profil de géographe, aussi singulier soit-il ? Peut-on l’enfermer dans une discipline d’appartenance ? Si le titre surprend, il suffit de lire les notices biographiques des contributeurs qui explicitent les liens que chacun a entretenus avec celui-ci, pour se rassurer. Le lecteur aura bien un aperçu complet du rayonnement de sa pensée pluridisciplinaire et de l’impact important de son esprit interdisciplinaire sur une grande diversité d’enseignants-chercheurs et de professionnels que ces contributeurs ont formés à leur tour dans de nombreux domaines : géographie, architecture, urbanisme, philosophie, sociologie, histoire, histoire urbaine, histoire de l’aménagement et développement territorial. Chacun explique à sa manière les rapports qu’il entretient avec Roncayolo et la publication est aussi intéressante de ce point de vue. Les auteurs, ont conscience de l’absence de références internationales. Il aurait en effet été intéressant d’inclure notamment des témoignages de contributeurs italiens, d’autant plus que selon Marcel Roncayolo, du côté des architectes, la reconnaissance de son travail est arrivée par l’Italie et les architectes italiens ont eu connaissance de sa vision de la ville avant les Français1

2L’ouvrage est organisé en trois parties, « Les objets », « Démarches et territoires », « L’engagement dans la cité » et comprend un dossier qui complète les propos des contributeurs. Celui-ci contient outre la biographie de Marcel Roncayolo et sa bibliographie, la liste des travaux universitaires qu’il a dirigés, et un bel hommage des historiens sous la forme d’un entretien avec Jean-François Sirinelli réalisé en 2007 (décrypté et transcrit par Évelyne Cohen). Cet entretien témoigne de son engagement politique. Pour montrer son engagement institutionnel, l’ouvrage contient aussi une synthèse de la contribution de Marcel Roncayolo à la mise en place de l’enseignement des sciences économiques et sociales à partir de 1967 dans le second cycle des lycées.

3Dans la partie intitulée « Les objets », chaque contribution rend compte à sa manière du rapport non scientifique que Marcel Roncayolo entretenait avec ses objets d’études et de sa démarche (Yves Grafmeyer), qui a permis d’articuler des niveaux d’analyse très différents et de renouveler ainsi l’approche géographique. On prend conscience de la manière dont Roncayolo développe peu à peu ses objets de recherche en privilégiant l’étude des représentations, car celle-ci aide à convoquer l’histoire autant que l’imaginaire. Isabelle Chesneau donne à voir la manière dont Roncayolo construit son discours sur l’imaginaire d'une ville à partir de la notion d’image prise au sens large : tableaux statistiques, cartes, plans, photos, peintures, guides de voyage, romans, films, etc. À ces documents iconographiques il ajoute la notion d’image mentale, construite socialement et se sert de l’analogie pour comparer certains phénomènes ou encore identifier certains invariants urbains. Yankel Fijalkow aborde les liens que Marcel Roncayolo tisse entre la géographie électorale et les nouveaux projets urbains, lorsqu'il est sollicité par le journal Libération pour commenter les photos de Hugues de Wurstemberger, lors des élections de 1989. Par ce biais, tout en évoquant l'histoire des sites montrés, les divisions sociales et le poids des représentations dont ils font l'objet, Marcel Roncayolo interpelle les maires entrepreneurs des métropoles régionales. Jacques Brun montre comment Roncayolo transforme un objet d'étude presque banal, en intégrant ce regard très personnel, notamment pour ce qui concerne les changements urbains et la complexité des divisions sociales de la ville.

4La première partie s’achève sur la notion de paysage (Thierry Paquot) également abordée par Daniel Nordman dans la partie suivante, « Démarches et territoires ». Celui-ci évoque, à partir de la correspondance de Louis Merle, « la géographie par l’histoire, par les acteurs » (p. 92) ce qui ramène à la notion d’espace-temps, indispensable à Marcel Roncayolo pour lire autant la ville que la campagne. Tout en gardant ses distances avec la pratique directe, celui-ci se limite à une posture de « spectateur engagé », qui se situe « à la jonction d’un dessein social et d’un dessin architectural » (p. 116), comme le montre Guy Burgel à partir de la construction de leurs carrières respectives, basées sur une vision et une méthode partagées.

5Marcel Roncayolo construit sa posture scientifique par sa formation d’historien-géographe et à travers l’approche déployée procédant de croisements disciplinaires qui le conduisent à entretenir des relations étroites avec l’architecture et l’urbanisme, mais aussi à se nourrir de savoirs professionnels très divers (Marie-Vic Ozouf-Marignier). Une telle démarche interdisciplinaire, compliquée à pratiquer dans les carcans académiques français, l’incite à conserver un rapport étroit avec la dimension historique pour comprendre la ville. Les axes des recherches urbaines de Marcel Roncayolo (comportements citadins, territorialité, construction de la ville, temporalités et représentations sociales) font écho à ceux de Maurice Halbwachs, dont l’approche a contribué au renouvellement de la géographie par Roncayolo, ce qui a permis en échange la redécouverte de l’œuvre du sociologue (Gilles Montigny).

6La circulation et la réception d’un texte de Marcel Roncayolo datant de 1977 sont l’occasion d’une enquête passionnante (Anton Paumelle et Nicolas Verdier) concernant le contexte dans lequel se fait sa rédaction, les échanges intellectuels que cela a générés avec Louis Bergeron, Bernard Lepetit ou Gilles Montigny, ainsi que les interactions entre diverses équipes de recherche du CNRS, de l’EHESS et enfin de la façon dont un propos scientifique cherche sa légitimation dans les citations des prédécesseurs. Cette contribution montre comment se construit une vision de l’agglomération, entre la notion de ville et celle de village, au moment de l’institutionnalisation de l’analyse spatiale et de la mise en place de la Nouvelle géographie, et surtout le regain d’intérêt du texte depuis les années 2010, lorsque les territoires ruraux sont réinvestis par l’action publique.

7Dans la troisième partie ce jeu de miroirs se poursuit avec les marches, les voyages et les croisements initiés par la recherche-action (Sophie Bertran de Balanda). La contribution de René Borruey permet de décrypter les sentiments de Marcel Roncayolo à l’égard des architectes ainsi que les rapports contrastés qu’il avait avec eux. Elle met en évidence les nombreux propos exhortant les architectes à s’engager davantage dans la recherche urbaine pour mieux expliciter les processus afin d’améliorer la connaissance de la fabrication de la ville et des territoires. Dans cette dernière partie nommée « L’engagement dans la cité », il est également mentionné l’apport spécifique de Marcel Roncayolo, de Jacques Le Goff et plus particulièrement des sciences sociales à la prospective et à la stratégie de la RATP dans le cadre d’un séminaire qui s’est déroulé entre 1982 et 1988 (Édith Heurgon). La trajectoire de Roncayolo en urbanisme est éclairée par la contribution de Laurent Coudroy de Lille, qui montre le contraste avec celle de Françoise Choay, également pointé par René Borruey. Les parcours intellectuel et institutionnel s’entremêlent, permettant à Roncayolo d’ériger l’urbanisme en objet d’histoire et de valoriser en engagement méthodologique, mais aussi d’expérimenter à Nanterre la posture d’urbaniste « de projet » (p. 280).

8Tous ceux qui ont eu la chance de rencontrer Marcel Roncayolo reconnaitront à travers l’ensemble de ces textes, la grande humanité et l’humilité qui se dégageaient des échanges qu’il acceptait volontiers (nous nous sommes entretenus à de nombreuses reprises entre 2006 et 2011, à l’occasion d’une recherche sur les guides de tourisme). Le film « Marcel Roncayolo, interprète de ville » réalisé par Herta Alvarez (2010) et produit par le Pôle des Sciences de la Ville de l’Université Paris 7, dirigé alors par Évelyne Cohen, en témoigne de manière très sensible et mériterait une diffusion de plus grande ampleur auprès des jeunes générations, car ce documentaire illustre très bien les croisements disciplinaires qui devenaient possibles et désirables grâce à la vision de Marcel Roncayolo. Plusieurs extraits visuels de ce film – indiqué dans la bibliographie – figurent dans la publication.

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Notes

1 Cela est précisé dans plusieurs de ses publications et dans des entretiens qu’il a accordés. Voir par exemple : Marcel Roncayolo, « Les guides comme corpus de la connaissance urbaine », In Situ [En ligne], 15 | 2011, consulté le 27 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/insitu/559 ; DOI : https://doi.org/10.4000/insitu.559

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Pour citer cet article

Référence électronique

Joanne Vajda, « Laurent Coudroy de Lille, Jacques Brun, Guy Burgel, Gilles Montigny, Marie-Vic Ozouf-Marignier (dir.), Marcel Roncayolo, sur les pas d’un géographe singulier »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 30 avril 2024, consulté le 25 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/rhc/8260 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11yd6

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Auteur

Joanne Vajda

ENSA Paris Malaquais

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