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Pudens

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Pudens
Saint Pudens, icône (Russie).
Biographie
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Époque
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Sainte Praxède
Novat (en)
Pudentienne
Timothée (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Gens
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Étape de canonisation
Fête

Dans l'Antiquité romaine chrétienne, le nom Pudens peut renvoyer à trois personnages distincts : un Romain salué par saint Paul à la fin d'une de ses épîtres ; le fondateur de la paroisse romaine primitive ou « titre » portant son nom (titulus Pudentis) ; enfin, un saint mis en scène dans une légende hagiographique rédigée au VIe siècle et dépourvue d'autorité, et qui aurait vécu vers le milieu du IIe siècle. Le premier de ces trois personnages, dont on ne connaît que le nom et le fait qu'il résidait à Rome au temps de la Seconde lettre à Timothée qui le mentionne parmi d'autres (2 Tm 4, 21), est d'une historicité indubitable[1]. On a imaginé, sans preuves, qu'il pouvait s'agir d'un Romain de rang sénatorial qui pourrait être lié aux sénateurs romains Quintus Cornelius Pudens (en) ou Aulus Pudens, voire être lui-même un de ces deux sénateurs[réf. nécessaire]. Ne s'appuyant sur aucun document, l'hypothèse selon laquelle il aurait hébergé l'apôtre Pierre lors d'un de ses séjours à Rome est encore plus gratuite[réf. nécessaire].

Le deuxième Pudens, le fondateur à Rome du « titre de Pudens » (titulus Pudentis) situé dans le quartier de l'Esquilin, personnage mentionné sans épithète dans un synode de 499, mais devenu « saint Pudens » (titulus sancti Pudentis) dans un synode de 595, a certainement existé, mais – comme pour la plupart des fondateurs de tituli – on ne sait rien de lui, et l'époque à laquelle il vécut (IIe siècle ? IIIe siècle ?) demeure incertaine.

Quant au troisième Pudens, celui dont la composition hagiographique apocryphe BHL 6988-6989, vraisemblablement rédigée au début du VIe siècle, a fait un saint romain contemporain d'Antonin le Pieux et père de deux vierges également saintes nommées Potentienne/Pudentienne et Praxède, il relève de la catégorie des héros de « légendes de fondation » et a été probablement conçu comme une caution partisane dans un contexte de schisme ; faute d'historicité, il a été radié du calendrier liturgique romain en 1969.

Bien que le nom Pudens soit assez répandu dans le monde romain, un lien généalogique entre le premier et le deuxième de ces personnages historiques n'est pas impossible : il a pu exister deux nommés Pudens ayant eu des liens familiaux et ayant habité successivement la même demeure à Rome. La suite des conjectures manque d'assise dans la mesure où elle repose sur des prémisses dénuées de tout fondement documentaire : le premier Pudens aurait été marié avec une Claudia[réf. nécessaire] et aurait été converti au christianisme par l'apôtre Pierre, qu'il aurait hébergé[réf. nécessaire] ; lui ou son hypothétique épouse Claudia auraient été les parents de Linus, le premier évêque de Rome selon les Constitutions apostoliques (ou le deuxième évêque selon les Pères de l'Église pour qui Pierre est le premier évêque de la ville)[réf. nécessaire]. Cet écheveau de suppositions infondées et de rapprochements sans pertinence a été abandonné depuis longtemps par la critique historique. Quant à l'appartenance du deuxième Pudens à la gens Cornelia, il n'en est fait mention dans aucune source antique, mais des rapprochements épigraphiques rendent cette hypothèse sinon probable, du moins possible[2].

Le deuxième Pudens, si l'on poursuit les conjectures, pourrait être le père ou un membre de la famille du troisième Pudens (avec qui il est souvent confondu). Ce deuxième Pudens aurait été marié à une femme appelée Priscilla[réf. nécessaire] qui pourrait avoir été enterrée dans le cimetière appelé à donner naissance, par la suite, à la catacombe portant son nom[réf. nécessaire]. Quand au troisième Pudens, celui des Actes pseudépigraphes BHL 6988-6989, l'hagiographe le situe dans le deuxième quart du IIe siècle, lui donne pour épouse une certaine Savinilla et en fait le père de deux filles nommées Praxède et Pudentienne. Le succès de cette légende fit que le père, puis les deux filles en vinrent à être considérés comme saints par l'Église de Rome, le premier avant la fin du VIe siècle (attestation au synode de 595), les autres à compter du VIIe siècle.

Une partie notable du chef de saint Pudens est conservée à la basilique Saint-Michel-des-Lions de Limoges, et fait partie des reliques régulièrement processionnées lors des ostensions limousines.

Conjectures biographiques

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Le Pudens du Ier siècle, simple nom figurant une seule fois dans le Nouveau Testament, est mentionné dans la deuxième épître à Timothée (4, 21) comme un adepte de « la Voie du Seigneur » résidant à Rome. Selon une légende moderne dont on ne trouve aucune trace avant la fin du XVIe siècle, il aurait hébergé l'apôtre Pierre et aurait été baptisé par lui[réf. nécessaire]. Aucun document ancien ne fait de lui un martyr victime de Néron (54-68), comme on le lit parfois dans des ouvrages non scientifiques.

Un de ses fils ou de ses proches parents, appelé lui aussi Pudens, aurait eu deux fils, Novatus et Timothée, son frère homonyme aurait eu deux filles, Praxède et Pudentienne, et les quatre cousins auraient été reconnus comme saints à partir du VIe siècle par l'Église de la ville de Rome. Connue seulement à travers la même composition hagiographique que celle de leur « père » Pudens (les tardifs Actes BHL 6988-6989), la vie de Potentienne et de Praxède a ceci de particulier qu'elle renvoie à l'existence incontestable de deux églises anciennes de Rome, la basilique Sainte-Praxède et la basilique Sainte-Pudentienne (Santa Pudenziana), dont l'hagiographe se propose d'expliquer la proximité en faisant de leurs titulaires respectives deux soeurs[3]. Ce Pudens de la légende hagiographique serait mort au IIe siècle[réf. nécessaire].

Les actes du synode du pape Symmaque (499) montrent l'existence d'un titulus Pudentis — un édifice privé transformé en lieu de culte avec le pouvoir d'administrer les sacrements — qui était aussi connu comme ecclesia Pudentiana[4]. Certains critiques, dès le XIXe siècle, tenaient pour purement légendaire la connexion faite entre les deux Pudens, position que Giovanni Battista De Rossi, en son temps, s'employa à combattre à partir de ses investigations dans la Catacombe de Priscille[5], mais que l'hagiographie critique du XXe siècle a consolidée[6].

Faute de documents sûrs permettant d'établir son existence, le Pudens de la tradition hagiographique a été supprimé du Calendrier liturgique romain lors de la réforme de 1969, mais reste commémoré le 14 avril dans le calendrier de l'Église orthodoxe et le 19 mai selon le Martyrologe dominicain.

Les Actes des saintes Potentienne et Praxède

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Le document de base pour tenter de retrouver des éléments historiques au sujet de Pudens est une composition hagiographique apocryphe datant probablement du début du VIe siècle, les « Actes des saintes Potentienne et Praxède » (BHL 6988-6989), ou, comme ce livre est parfois appelé, les « Actes de Pastor et Timothée »[7]. Ces « Actes » se composent d'une lettre d'un prêtre nommé Pastor à un autre prêtre nommé Timothée et de la réponse de ce dernier. Ce même Pastor (confondu avec le Pastor dont le nom sert de titre à l'ouvrage d'Hermas) apparaît dans le Liber Pontificalis comme frère de l'évêque de Rome Pie Ier (mort en 155)[8], ce qui contraint, pour sauver cette douteuse assertion, à imaginer que les faits ont eu lieu avant l'accession de celui-ci à l'épiscopat (140–142). Les lettres sont suivies d'un court récit annexé. La date de rédaction de ces « Actes » est tardive, et les lettres dans leur forme actuelle sont indéniablement pseudépigraphes, ce qui n'a pas empêché certains, autrefois, de croire qu'elles contenaient un noyau véridique traité dans ses détails avec les habituelles libertés inventives, jusqu'au moment où le développement de l'hagiologie et de la critique historique des sources a mis un terme à cet excès de confiance et a permis d'expliquer la genèse et la fonction, à la fois étiologique et justificative, de cette « légende de fondation »[9]. La genèse d'une telle composition s'explique principalement par le contexte ecclésial du schisme laurentien (années 498-506) : l'antipape Laurent, rival du pape Symmaque, était archiprêtre du titulus de Praxidas/Praxède et semble avoir joui du soutien du clergé du titulus Pudentis. Le roman hagiographique de Pudens, Praxède et Potentienne/Pudentienne (qui se prétend document et se veut caution) fut probablement élaboré comme une « machine de guerre » laurentienne contre Symmaque[10].

L'histoire racontée dans ces « Actes » est la suivante : un certain Pudens, dont la mère s'appelait Priscilla, qui était ami des Apôtres et accueillait avec beaucoup d'empressement les peregrini (étrangers de passage), offrit sa maison à la communauté comme une « église du Christ », après la mort de sa femme Savinilla. Cette église dans la maison de Pudens, située dans le Vicus Patricius (it), aurait été érigée en paroisse romaine sous le nom de titulus Pastoris (Actes, chap. 1-2, 3e éd., p. 298 E). Ce titulus, si tant est qu'il ait existé sous ce nom ailleurs que dans l'hagiographie tardive[11], aurait fait référence au mythique prêtre Pastor[12], ami de Pudens et soi-disant auteur de la lettre pseudépigraphe, qui aurait été le desservant de l' église fondée par celui-ci.

Dans ce lieu, Pudens passa le reste de ses jours avec ses deux filles Praxède et Potentienne ou Pudentienne, vierges chastes qui employaient leur temps à la prière, au jeûne et aux oeuvres de bienfaisance. Après sa mort, ses filles non seulement obtinrent le consentement de Pie (évêque de 140-142 à 155) à la construction d'un baptistère attenant à l'église, mais encore convainquirent l'évêque de dessiner de sa propre main le plan de l'édifice, où il devait souvent offrir le sacrifice à Dieu. La lettre apocryphe de Pastor indique qu'après la mort de Potentienne (survenue un 22 avril)[13], son corps fut placé par lui-même et Praxède — la sœur survivante — à côté de celui de son père dans le cimetière de Priscilla, sur la Via Salaria. On a imaginé[réf. nécessaire] que cette affirmation était intentionnelle pour indiquer que la Priscilla qui a donné son nom au cimetière était la mère de Pudens. Praxède fit du titulus fondé par son père un lieu de refuge et de réconfort pour les chrétiens. Parmi ces derniers, Novatus, frère de Timothée, voulut encourager Praxède dans ses bonnes oeuvres en lui faisant don, avant de mourir, de tous ses biens et des thermes désaffectés dont il était le propriétaire. Timothée consentit très volontiers à ce legs. Les thermes furent transformés en église et celle-ci fut consacrée par l'évêque Pie sous le vocable de Sainte-Potentienne (Actes, chap. 5-8).

La basilique Saint-Michel-des-Lions de Limoges conserve le chef (crâne) de saint Pudens. Cette relique provient du couvent des Petits Carmes de Limoges puis fut transférée à la Communauté des Sœurs de la Croix de Limoges, avant d'arriver à l'église (elle n'était pas encore basilique) Saint-Michel-des-Lions. Elle fait partie des reliques processionnées lors des ostensions limousines, et ce avant et après la Révolution. Le programme des ostensions de 1876 atteste sa présence. Après une longue absence, la relique a de nouveau été processionnée lors des ostensions de 2023.

Le chef de saint Pudens conservé à Limoges est remarquable par son traitement et a donné lieu en novembre 2021 à plusieurs études scientifiques[14] (examens tomodensitométrique "scanner", endoscopique, médico-légal) réalisées avec l'accord de Pierre-Antoine Bozo, sous la direction scientifique de Matthias Martin, lipsanothécaire de l'évêché de Limoges. En effet, les ossements, parcellaires, ont été intégrés (à une époque indéterminée en l'état actuelle des recherches, sans doute fin du XVIIIe ou début du XIXe siècle) à un crâne entier en carton bouilli, afin d'en permettre la vénération par les habitants du Limousin (la vénération des chefs de saints est une caractéristique importante des ostensions septennales limousines). La relique ainsi obtenue a été patinée en brun foncé, à l'imitation du crâne de saint Martial de Limoges, devenu brun à la suite de la cristallisation du baume avec lequel il est honoré à chaque ostension.

Notes et références

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  1. François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien, p. 139.
  2. Albert Dufourcq, Étude sur les Gesta martyrum romains (tome I). Paris, Fontemoing, 1900, p. 127-128.
  3. Cécile Lanéry, « Hagiographie d'Italie (300-550) –. I. Les Passions latines composées en Italie », dans Guy Philippart (éd.), Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, tome 5. Turnhout, Brepols, 2010, p. 15-369, spéc. p. 174.
  4. (en) « Praxedes and Pudentia », Catholic Encyclopedia (consulté le ).
  5. Giovanni Battista De Rossi, Roma sott., 1, 176-7.
  6. Voir notamment Victor Saxer, Sainte-Marie-Majeure. Une basilique de Rome dans l'histoire de la ville et de son Église. École française de Rome, 2001 (CEFR, 283), p. 17-18 ; Mary M. Schaefer, Women in Pastoral Office : the Story of Santa Prassede, Rome. Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 12 et note 34.
  7. Acta Sanctorum, Maii, tome IV, p. 297–301.
  8. Cécile Lanéry, « Hagiographie d'Italie (300-550) –. I. Les Passions latines composées en Italie » (2010), p. 174-175 et note 177
  9. René Aigrain, L'hagiographie. Ses sources. Ses méthodes. Son histoire. Paris, Bloud & Gay, 1953, p. 281-282 ; Victor Saxer, Sainte-Marie-Majeure (2001), p. 17-18 ; Mary M. Schaefer, Women in Pastoral Office (2013), p. 12 et n. 34 ; Cécile Lanéry, « Hagiographie d'Italie (300-550) –. I. Les Passions latines composées en Italie » (2010), p. 173-174.
  10. Voir C. Lanéry, op. cit. (2010), p. 168-176, qui fait sienne et étaye l'analyse proposée par P.A.B. Llewellyn, « The Roman Church during the Laurentian Schism : Priests and Senators », dans Church History, 45 (1976), p. 417-427.
  11. Voir R. Aigrain, L'hagiographie (1953), p. 282 ; C. Lanéry, op. cit. (2010), p. 174-175 et p. 299.
  12. Pour Albert Dufourcq, Étude sur les Gesta martyrum romains (tome I). Paris, 1900, p. 129-130, le personnage de saint Pastor est une fiction née d'un malentendu d'origine iconographique : une mosaïque détruite en 1505 d'une chapelle de Sainte-Pudentienne, qui représentait le Bon Pasteur entouré de brebis, aurait donné à la chapelle son nom (« oratoire du Bon Pasteur »), qui serait devenu « oratoire de saint Pasteur » à une époque où le culte du Bon Pasteur avait disparu.
  13. C. Lanéry, op. cit. (2010), p. 175, note que cette date (28e jour, selon la méthode romaine de calcul, avant la depositio du 19 mai) correspond à la date de Pâques selon la tradition grecque (suivie par le parti laurentien) et s'oppose à la date du 25 mars promue par Symmaque et vigoureusement rejetée par le même parti laurentien.
  14. Le mystère du crâne de "Pudens" retrouvé à la basilique Saint-Michel de Limoges