Chrononyme
Un chrononyme (concept introduit par la linguiste suisse Éva Büchi en 1996[1]) est une portion de temps à laquelle la communauté sociale attribue une cohérence, ce qui s’accompagne du besoin de la nommer[2].
C'est le cas, par exemple de l'expression la Renaissance (devenue un chrononyme par appropriation d'une référence temporelle stabilisée sans que l'expression évoque une périodisation), des « Années folles » pour qualifier en France les années 1920, ou de l'expression « Trente Glorieuses », pour désigner les années 1946-1975, toujours dans le même pays, forgée rétrospectivement par Jean Fourastié en 1979 et depuis largement usitée[3].
Ces termes font l'objet de recherches en linguistique et nourrissent désormais l'histoire et l'historiographie[4].
Pour les dates constituant des noms d'événements (entre autres, le 11 Septembre ou le 21 avril), les chercheurs utilisent parfois le terme spécifique d'héméronymes[5].
Sémantique
modifier« Sur le plan sémantico-référentiel, si un chrononyme au sens strict, c’est-à-dire une étiquette fonctionnant en tant que nom propre, vise son référent de façon exclusive et stable, la stabilité référentielle qui est la sienne doit être – comme pour les autres noms propres – relativisée, et cela pour deux raisons. D’une part, les limites précises de l’empan historique couvert par la dénomination sont en général controversables, comme le montre le caractère indécis d’une expression du type l’Après-guerre, voire l’Entre-deux-guerres, ainsi que la difficulté de borner dans le temps les périodes auxquelles de grands événements politiques ou culturels ont laissé leur nom (la Révolution, les Lumières). D’autre part, l’agrégat des représentations colportées par le chrononyme varie avec les imaginaires sociaux : variations partisanes et variations chronologiques[2] ».
Notes et références
modifier- Eva Büchi, Les Structures du “Französiches Etymologisches Wöterbuch”. Recherches métalexicographiques et métalexicologiques, Niemeyer, , p. 271
- Paul Bacot, Laurent Douzou et Jean-Paul Honoré, « Chrononymes. La politisation du temps », Mots. Les langages du politique, no 87, , p. 5–12 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.11552, lire en ligne, consulté le )
- Rémy Pawin, « L’enracinement du mythe des « Trente Glorieuses » par les manuels scolaires (1979-2011) », Le Temps des médias, vol. 27, no 2, , p. 47 (ISSN 1764-2507 et 2104-3671, DOI 10.3917/tdm.027.0047, lire en ligne, consulté le )
- Dominique Kalifa, « Introduction. Dénommer le siècle : « chrononymes » du XIXe siècle », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 52, , p. 9–17 (ISSN 1265-1354, lire en ligne, consulté le )
- Laura Calabrese Steimberg, « Les héméronymes. Ces évènements qui font date, ces dates qui deviennent évènements », Mots. Les langages du politique, no 88, , p. 115–128 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.14443, lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Paul Bacot, Laurent Douzou et Jean-Paul Honoré, « Chrononymes. La politisation du temps », Mots. Les Langages du politique, no 87, , p. 5–12 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.11552, lire en ligne).
- Marion Bertholet et Jean-Loup Kastler, « Les Lumières et le Moyen Âge : une révolution ? », La Révolution française. Cahiers de l'Institut d'histoire de la Révolution française, no 25 « Les Lumières et le Moyen Âge : une révolution ? », (ISSN 2105-2557, DOI 10.4000/lrf.7779, lire en ligne).
- Christophe Charle, « Fin de siècle », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 52 « Chrononymes. Dénommer le siècle », , p. 103-117 (ISSN 1265-1354, DOI 10.4000/rh19.4995, lire en ligne).
- Olivier Christin, « Ancien Régime. Pour une approche comparatiste du vocabulaire historiographique », Mots. Les langages du politique, no 87, , p. 13–26 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.11762, lire en ligne).
- Denis Crouzet, Le XVIe siècle est un héros : Michelet, inventeur de la Renaissance, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Albin Michel Histoire », , 601 p. (ISBN 978-2-226-44492-9, présentation en ligne).
- Dominique Kalifa, « Introduction. Dénommer le siècle : « chrononymes » du XXe siècle », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 52 « Chrononymes. Dénommer le siècle », , p. 9–17 (ISSN 1265-1354, lire en ligne).
- Dominique Kalifa, « « Belle Époque » : invention et usages d'un chrononyme », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 52, , p. 119–132 (ISSN 1265-1354, DOI 10.4000/rh19.4997, lire en ligne).
- Dominique Kalifa, « Le « Second Empire » a-t-il existé ? », Histoire, économie et société, Paris, Armand Colin « Le « Second Empire » a-t-il existé ? », , p. 4-6 (ISSN 0752-5702, e-ISSN 1777-5906, DOI 10.3917/hes.173.0004, lire en ligne).
- Dominique Kalifa, « L'entre-deux-guerres n'aura pas lieu », Littérature, Paris, Armand Colin, no 193 « Faire époque : l’entre-deux-guerres », , p. 101-113 (ISSN 0047-4800, e-ISSN 1958-5926, DOI 10.3917/litt.193.0101, lire en ligne).
- Dominique Kalifa (dir.), Les noms d'époque : de « Restauration » à « années de plomb », Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », , 349 p. (ISBN 978-2-07-276383-0, présentation en ligne), [présentation en ligne], [présentation en ligne], [présentation en ligne], [présentation en ligne].
- Pierre Lavelle, « Chrononymes japonais », Mots. Les langages du politique, no 87, , p. 71–84 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.12442, lire en ligne).
- Carmela Lettieri, « L’Italie et ses Années de plomb. Usages sociaux et significations politiques d’une dénomination temporelle », Mots. Les langages du politique, no 87, , p. 43–55 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.12032, lire en ligne).
- Erwan Sommerer, « Une démocratie illégitime. La década infame dans le discours populiste argentin », Mots. Les langages du politique, no 87, , p. 27–41 (ISSN 0243-6450, DOI 10.4000/mots.11962, lire en ligne).