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LES ARCS 2021

Critique : À l’ombre des filles

par 

- Alex Lutz pousse les portes et les murs de l’univers carcéral au féminin en animant un atelier de chant lyrique dans le second long d’Étienne Comar

Critique : À l’ombre des filles

"Comme les fleurs de mon jardin, je prends racine où l’on m’arrose". C’est à l’aide de ces simples paroles de Où l’on me verse du bon vin (attribué à Mozart) qu’un professeur de chant lyrique fait la connaissance de chacune des voix des six femmes inscrites à son atelier. Oser se faire confiance, ne pas s’inquiéter de la justesse, s’abstraire de l’environnement, opérer une prise de conscience vocale, travailler sur la détente et la respiration, déceler où l’on en est émotionnellement, se faire plaisir, s’exprimer, trouver de la beauté dans le chant, et ne pas oublier qu’"écouter, c’est aussi choisir ce qu’on veut bien entendre" : toutes les chorales empruntent les mêmes chemins d’apprentissage de l’harmonie, mais celle placée par Étienne Comar au centre de son second long métrage, À l’ombre des filles, projeté en avant-première au 13e Les Arcs Film Festival, est très particulière puisque nous sommes en prison.

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"On est pas à l’opéra ici ! (…) La plupart d’entre elles sont là pour des crimes de sang, meurtres familiaux, affaires de drogue, agressions et quelques cas de démence aussi." Pour Luc (Alex Lutz), l’univers pénitentiaire où un modeste diapason peut être considéré comme une arme, est totalement nouveau, et ses cours dispensés dans le cadre de l’insertion et de la probation, une plongée dans l’inconnu où il doit tenir la ligne de l’enseignement de son art tout en s’adaptant aux personnalités très différentes de ses élèves en souffrance plus ou moins aigue dans leur enfermement carcéral. Une découverte progressive et la constitution d’un groupe passant par toutes les tonalités (parfois houleuses, quelquefois drôles, souvent poignantes sous la surface endurcie) qui font aussi office de miroir pour le professeur muré dans un processus secret de deuil personnel.

Comment trouver l’harmonie dans des circonstances en apparence très hostiles, échapper mentalement à ses mauvais karmas et à l’ombre omniprésente des gardiens et des barreaux, accepter sa fragilité, créer de nouveaux liens, réveiller son corps et son âme de la torpeur mélancolique anesthésiant les blessures profondes ? À travers la métaphore de la prison (accentuée visuellement par le format 1,33) et au fil de dix cours égrenés par un scénario (signé par le cinéaste) très bien charpenté, Étienne Comar explore, avec un bon équilibre entre intrigue romanesque et réalisme documentaire, les facettes contrastées du concept de libération.

Interprété par un excellent cast féminin mêlant professionnelles (Agnès Jaoui, Veerle Baetens, Hafsia Herzi et Marie Berto) et non-professionnelles (Fatima Berriah et Anna Nadjer), le film réussit à donner à chacune des protagonistes son propre espace d’intimité et d’humanité, et le regard se désaxe subtilement du sillage moteur d’Alex Lutz (remarquable dans son rôle de meneur introverti beaucoup plus insaisissable et ambivalent qu’il n’y paraît) aux quotidien carcéral des femmes de cette chorale très spéciale. Et naturellement, il y a de la musique, de L’amour est un oiseau rebelle de Bizet à Bang bang, du Cum Dederit de Vivaldi à India Song de Jeanne Moreau, jusqu’à Où sont les femmes ? de Patrick Juvet, sans oublier le rap Plane de Glauque en bande-son. Car "c’est ça qui est bien avec le chant, c’est qu’on peut être différent et plusieurs personnes à la fois", à l’image d’un réalisateur oeuvrant au croisement du cinéma d’auteur et du film populaire, et qui tient la note entre précision et empathie, démontrant après Django (son premier long de cinéaste) qu’il veut fendre l’armure de la maîtrise du scénariste.

Produit par Maneki Films et Arches Films, À l’ombre des filles a été coproduit par les Belges de Versus Productions, la RTBF, Proximus, Voo & Be TV. Le film sera distribué en France par Ad Vitam le 6 avril 2022. Les ventes internationales sont assurées par Playtime.

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