CANNES 2024 Semaine de la Critique
Leonardo van Dijl • Réalisateur de Julie se tait
“Le défi était de faire entendre le silence très fort”
par Aurore Engelen
- CANNES 2024 : Le réalisateur belge détaille pour nous son premier long-métrage, en forme de portrait d'une jeune joueuse de tennis confrontée aux problèmes de son entraîneur et à ses propres secrets
Leonardo van Dijl s’est fait connaître avec le court-métrage Stephanie (2020), alors sélectionné à Cannes puis présenté à plus de 150 festivals partout dans le monde. Son premier long-métrage, Julie se tait [+lire aussi :
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fiche film], qui a été présenté à la Semaine de la Critique de Cannes, brosse un portrait intime d’une jeune joueuse de tennis confrontée aux possibles agissements de son entraîneur, et à ses propres secrets.
Cineuropa : De quoi parle principalement le film, pour vous ?
Leonardo van Dijl : C’est un film sur le silence. J’ai abordé le film avec l'idée que le silence est universel et que nous avons tous, d’une manière ou d’une autre, des silences en nous. J’utilise le mot "silence", et non "secrets". Le silence peut renvoyer à ce dont on ne veut pas parler, ce dont on ne sait pas comment parler, ce dont on aimerait parler sans y arriver, ce dont on n'est pas capable de parler. J’ai senti que la question du silence était le bon angle pour raconter mon histoire, et parler du monde dans lequel nous vivons. J'espérais aussi que l’histoire paraîtrait aussi atemporelle qu’universelle. Pour moi, le parcours de Julie est presque mythologique, dans le sens où c’est presque comme une histoire venue de la Grèce antique. C’est une héroïne tragique, dans la veine d'Hercule ou Antigone. Le grand défi, c'était que le silence devienne assourdissant.
Qui est Julie ?
C’est une fille de 15 ans et une excellente joueuse de tennis. Elle n’est pas si bonne que cela à l’école, mais elle est tout de même très intelligente. Très sensible aussi. C’est une fille innocente qui se retrouve à porter le fardeau de responsabilités et de dilemmes moraux très lourds. Elle est un peu comme Hamlet : pour elle, c'est "parler ou ne pas parler". Si elle parle, un moment viendra où elle perdra un petit peu d’elle-même, mais si elle ne le fait pas, elle va faire face aux mêmes problèmes. C’est bouleversant, pour quelqu'un d'aussi jeune. Elle a le droit d’être innocente, d’être soulagée de ce fardeau.
C’est un portrait très intime, car on ne la quitte jamais.
Il fallait qu’on traverse des choses avec elle, pour voir comment elle perçoit le monde et aussi comment le monde la perçoit, mais à vrai dire, j'ai essayé de créer de la distance : je ne voulais pas me rapprocher de trop près. Nous avons fait principalement des plans moyens et larges. J’avais besoin que le public voie ce qu'il y a autour d’elle. Le silence de Julie n'affecte pas qu’elle : il affecte tout le monde autour d’elle. Je pense que ma comédienne [Tessa Van den Broeck] est tellement bonne qu’elle a été capable d’établir elle-même la relation entre Julie et le public.
Vous faites ici un travail très spécifique sur la lumière : il y a beaucoup de rideaux, de crépuscules et d'aubes, puis un soleil très vif, quand Julie semble se libérer.
Oui, ça peut sembler cucul, mais je voulais amener de la lumière dans son silence, la faire sortir de l’ombre. Quand l’histoire commence, elle est extrêmement isolée, séparée du monde. Elle quitte l’hiver et entre dans l’été. Je voulais rappeler au public, à travers le parcours de Julie, que ce n'est pas un souci si quelqu'un veut garder le silence. Prends ton temps, ça va aller. Et puis elle arrive à prendre le contrôle de sa vie. Elle ne laisse personne lui enlever sa passion : elle veut par-dessus tout continuer à jouer au tennis.
Pouvez-vous nous parler du son et de la musique ?
J’ai travaillé avec Caroline Shaw. Elle est extrêmement talentueuse et très éclectique. Elle peut faire du classique mais aussi travailler avec du Kanye West. C’est une musicienne à 360°. Ça peut sembler bizarre, mais je ne voulais pas trop parler de la musique avec Caroline. Je voulais être à la place du spectateur, d’une certaine manière. J’ai juste posé clairement que je vous voulais que la musique soit une expression du silence de Julie, et je trouve que Caroline est très bien parvenue à écrire la chanson de Julie. Ça me convenait, tout ce que je voulais était la suivre dans son parcours.
Pour ce qui est du son, nous avons réfléchi à maintes manières d’exprimer le silence. Parfois, c’est un silence très fort, bourdonnant, parfois pas, et parfois on peut l’entendre, comme s'il était trop silencieux ! Ça ajoutait des niveaux à l’histoire.
Et quid du tennis ?
Julie ne va pas sur le court pour anesthésier sa douleur psychologique en la remplaçant par une douleur physique. Le sport n’est pas une forme de douleur pour elle, il lui donne de l’énergie. Son sport la ramène à elle-même, tout comme la méditation, par exemple. Et on a tellement d’idées fausses sur le tennis. Je voulais montrer que le tennis est plus que ça. Julie n'est pas "la fille qui joue au tennis" habituelle ; je voulais construire un nouvel archétype.
(Traduit de l'anglais)
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