Dāvis Sīmanis • Réalisateur de Maria’s Silence
“Il faut nous rappeler les catastrophes historiques, pour ne pas refaire les mêmes erreurs”
par Susanne Gottlieb
- BERLINALE 2024 : Le réalisateur letton nous parle de son film sur la Russie soviétique et le destin de ses citoyens baltes, en particulier celui de la comédienne Marija Leiko (qui a vraiment existé)
Dans son nouveau film, Maria’s Silence [+lire aussi :
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Cineuropa : Marija Leiko faisait l'effet d'être une star intouchable en Russie soviétique, mais elle a fini par devenir une victime du régime, et probablement pas la seule. Qu'est-ce qui vous a attiré dans son histoire en particulier ?
Dāvis Sīmanis : Quand je m'y suis intéressé, je me suis rendu compte tout de suite de la situation dramatique dans laquelle elle s'est trouvée quand elle a essayé de récupérer son petit-fils en Russie soviétique et qu'ensuite, elle y est restée, ce qui l'a amenée à être persécutée puis tuée. Cette histoire est assez symbolique de l'ensemble de cette période historique. En même temps, elle est très puissante dans le contexte de notre réalité actuelle. Ellle pourrait aussi symboliser ce qui se passe en ce moment en Russie, ou la guerre catastrophique qui est en cours en Ukraine.
L'histoire de Marija est aussi un rappel du fait que les pays n'ont jamais été homogènes : la Russie comptait de nombreuses minorités.
Je pense que c'est pour cela que le régime a réagi de manière si sanguinaire. Ces opérations nationales étaient exécutées contre d'autres nations : les Allemands, les Polonais, les Lettons, les Finlandais et beaucoup d'autres. Beaucoup de gens représentant d'autres nations étaient dans des positions de pouvoir au sein du système. Le régime voulait se purger de ceux qui ne cadraient pas avec le discours qu'il cherchait à établir.
Le titre du film peut être interprété de bien des façons. Marija est silencieuse sur scène, elle se tait quand on lui demande d'avouer qu'elle a pris part à un complot, mais c'est aussi une actrice de l'époque du cinéma muet.
J'ai toujours des problèmes au niveau des titres. Je pourrais passer des semaines à essayer de trouver un titre qui fonctionne et ne jamais complètement sentir que c'est le bon, mais en l'espèce, c'était différent : nous n'avions pas encore de scénario que nous avions déjà le titre. Rétrospectivement, je me dis qu'il a de nombreux niveaux de lecture différents.
On pourrait dire qu'elle était complice en faisant semblant de ne pas voir, mais il y a aussi deux membres du parti letton, avec lesquels elle interagit, qui adhèrent totalement au système..
Sauf qu'ils ne mesurent pas combien le régime dont ils font partie est sanguinaire. Ils ne peuvent pas prédire qu'ils seront les prochains à être éliminés. Jēkabs Peterss s'en rend compte parce qu'il est déjà surveillé. Leonīds Zakovskis ne comprend pas que s'il est lui-même une machine à tuer, un jour, c'est lui qui sera tué. Et c'est ce qui arrive, trois mois seulement après la mort de Leiko.
Il faut dire que Marija n'est pas très prudente, elle fait confiance aux mauvaises personnes.
Je pense que c'est un type de naïveté très caractéristique du monde occidental.
Les parallèles avec ce qui se passe en ce moment sont évidents : je pense à la guerre en Ukraine ainsi qu'à la mort, toute récente, d'Alexeï Navalny. Les choses changent, mais au fond, elles restent les mêmes.
J'ai réalisé de nombreux films historiques et je les vois toujours comme des rappels. Il faut que nous nous rappelions les catastrophiques historiques, pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Et puis on fait un film, et rien ne change dans le monde réel. Je trouve ça très déprimant.
Est-ce la raison pour laquelle vous continuez de faire des films historiques ?
Nous ne pouvons pas nous planquer derrière notre lassitude ("Je ne veux rien savoir de la guerre. Je ne veux rien savoir de la Russie"). J'aimerais bien faire quelque chose qui soit moins connecté avec le réel, peut-être une comédie, mais au bout du compte, je reviens toujours à l'histoire.
(Traduit de l'anglais)
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