Jonas Matzow Gulbrandsen • Réalisateur
"La musique est le fil rouge du film"
par Maud Forsgren
- TORONTO 2017 : C’est au Festival de Toronto que Valley of Shadows, le premier long-métrage du réalisateur norvégien Jonas Matzow Gulbrandsen a sa première mondiale
C’est dans la catégorie Discovery que le Festival de Toronto accueille cette année Valley of Shadows [+lire aussi :
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fiche film], premier long-métrage du réalisateur norvégien Jonas Matzow Guldbrandsen, dont les courts-métrages, tels que Everything will be OK, ont souvent été primés. Valley of Shadows est produit par la société Film Farms. Un début prometteur pour un film d’auteur qui suscite déjà beaucoup d’intérêt et de curiosité.
Cineuropa : J’ai vu quelques images de votre film, et je pressens un film d’horreur…
Jonas Matzow Gulbrandsen : Ce n’est pas un film d’horreur. D’ailleurs je ne souhaite pas qu’on mette mon film dans une quelconque catégorie, qu’on essaie à toute force de le définir. C’est un film ouvert dans lequel l’ambiguïté peut s’épanouir. On peut, malgré tout, dire que c’est plutôt un drame où règne le mystère. Je fais confiance au spectateur pour faire rapprochements et comparaisons. Libre à lui d’interpréter à sa façon. En tout cas c’est le regard d’un enfant que je propose au spectateur, sa vision des choses, un peu comme je l’ai fait en 2009 dans mon court-métrage Darek.
Vous avez dit récemment que votre film c’est Pierre et le loup, version cauchemar.
C’est vrai que je m’intéresse aux fables et allégories, à la mythologie, aux récits initiatiques, à ces histoires qu’on croit parfois locales, mais qui sont tellement universelles, avec parfois une morale, et souvent une joyeuse gravité. On en a un exemple avec Draumkvedet (The Dream Poem), une ballade norvégienne du Moyen Age. J’ai beaucoup lu dans mon enfance, les contes traditionnels naturellement, mais surtout la littérature suédoise pour les jeunes. J’étais un enfant réféchi, avide de connaissances. Lire Bruno Bettelheim m’a aussi beaucoup apporté par la suite.
Il y a, paraît-il, des éléments gothiques dans Valley of Shadows. C’est le Frankenstein de Mary Shelley qui vous a inspiré ?
Pas seulement. En fait, bien plus que la littérature, ce sont les arts plastiques, la peinture avant tout, qui ont nourri mon inspiration, mon imaginaire gothique : Albrecht Dürer, Gustave Doré, et Lars Hertervig, ce peintre norvégien dont les paysages aux arbres tourmentés attirent le regard irrésistiblement.
Qui sont vos acteurs ?
Adam Ekeli, qui joue Aslak le personnage principal a été trouvé parmi les trente premiers garçons pressentis pour des essais. Cet enfant, six ans au début du tournage, a une présence incroyable. C’est une âme d’adulte dans un corps d’enfant. Il nous a étonnés par son naturel, mais aussi par son sérieux, sa maturité. C’est Kathrine Fagerland qui interprète Astrid, la mère de cet enfant solitaire qui se pose bien des questions. On a pu la voir dans plusieurs films consacrés au détective Varg Veum, personnage créé par l’écrivain Gunnar Staalesen.
Vous avez aussi fait appel à un jeune chanteur-auteur-compositeur norvégien…
Oui, John Olav Nilsen. Je l’ai choisi pour son visage caractéristique, son expressivité, sa présence. A dire vrai, dans le film il incarne plus une énigme qu’un personnage.
Le directeur de la photo c’est...
Mon grand frère, Marius Matzow Gulbrandsen. On s’entend très bien. Nous nous comprenons de façon intuitive. Il est connu pour son travail avec Hisham Zaman, le réalisateur de Before Snowfall [+lire aussi :
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fiche film]. Marius et moi travaillons ensemble à toutes les étapes de la création. Nous avons fréquenté, à quelques années d’intervalles, le même établissement, l’Ecole nationale de cinéma à Łódź en Pologne, une des plus importantes d’Europe. Notre collaboration est étroite, comme l’était celle d’Ingmar Bergman et Sven Nykvist. Mais nous savons aussi nous en tenir, quand il le faut, à nos domaines respectifs. D’habitude c’est moi qui commence l’écriture, puis Marius intervient, secondé cette fois-ci pour le scénario par Clément Tuffreau.
Trouver les lieux de tournage a été facile ?
Marius et moi avons, pendant plusieurs mois, sillonné en voiture tout le sud, sud-ouest de la Norvège. Notre choix s’est finalement fixé sur les environs de Kristiansand, du côté de Kvinesdal, et sur Figgjo dans le comté de Rogaland. Nous avons tourné en 35 mm. Le digital, l’utilisation du numérique a, certes, ses avantages : on dépend moins de la météo, par exemple. Mais, malgré les difficultés éventuelles, filmer en analogique est plus organique et procure une texture incomparable.
Les dialogues ?
On parle peu dans mon film, contrairement à certains films français que je trouve trop bavards. J’aime le cinéma muet, en particulier les films du réalisateur suédois Victor Sjöström pour la puissance évocatrice de ses images. J’aime aussi, parmi d’autres, les films de Carl T. Dreyer, Bergman, Mizoguchi et son univers de fantômes...
La musique a-t-elle sa place dans votre film ?
Oh oui ! Comme il y a peu de dialogues, elle peut prendre ses aises. Je voulais qu’elle soit grande, belle, pas sentimentale. On la doit à Zbigniew Preisner le compositeur des films de Krzysztof Kieślowski. L’Orchestre symphonique de Varsovie a aussi apporté sa contribution. La musique est le fil rouge du film. Elle est l’expression de la vie intérieure d’Aslak et aussi le reflet de mon style, de mon langage cinématographique dans sa spécificité.
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