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Quel avenir pour l’agriculture des Vosges saônoises ?

Sylvain Plantureux et Yves Le Roux

Texte intégral

Les Vosges Saônoises

1La région des Vosges saônoises est un territoire situé à l’est du département de la Haute-Sâone (région également dénommée Vosges comtoises ou Vosges du Sud). Il constitue la partie la plus septentrionale du massif des Vosges et est en partie couvert par le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges. Le Pays des Vosges saônoises est une entité administrative associant 6 communautés de communes (CC) sur près de 1520 km2 (Figure 1).

Figure  : Carte des 6 communautés de communes formant le Pays des Vosges saônoises.

Figure  : Carte des 6 communautés de communes formant le Pays des Vosges saônoises.

Source : https://www.pays-Vosges-saonoises.fr

2L’étude faisant l’objet du présent article concerne 3 des 6 CC du Pays des Vosges saônoises, qui représentent ensemble un territoire de 656 km2: la CC des mille étangs (25 communes, 8703 habitants en 2015), la CC du Pays de Luxeuil (16 communes, 15464 habitants en 2015) et la CC Rahin et Chérimont (9 communes, 12248 habitants en 2013). Par convention, nous désignerons dans la suite de cet article par « Vosges saônoises » ou par « territoire » ces 3 CC, sachant qu’elles représentent 43% de la superficie de ce Pays des Vosges saônoises.

3La population de ce territoire de 50 communes a diminué au cours des dernières décennies, avec 35787 habitants en 2017 pour 40350 habitants en 1982. En 2017, la densité de 55 habitants au km2 est très inférieure à la moyenne nationale (118 hab.km-2), ou à celle du massif vosgien (84 hab.km-2) mais légèrement supérieure à celle de la Haute-Saône (44 hab.km-2). Trois agglomérations importantes à proximité des 3 CC constituent des pôles importants en termes d’emploi : Lure (70), Luxeuil (70) et Belfort (90) induisant une diminution de la densité de population dans les 3 CC avec la distance à ces bassins d’emploi.

4La géomorphologie du territoire résulte de l’érosion glaciaire du socle granitique du massif vosgien (Fourquin et al. 1972). Elle se caractérise par des plateaux situés entre 300 et 800 mètres d’altitude, entrecoupés de vallées, dont celles du Breuchin et de l’Ognon. Du fait de la géologie et du climat, l’eau est très abondante, ce qui détermine à la fois la valeur écologique et la nature de la mise en valeur économique du territoire. La richesse et l’originalité de la flore et de la faune ont contribué, en 2004, au classement du plateau des mille étangs comme site Natura 2000. En dehors des activités industrielles (textile, extraction minière, …), la valorisation du territoire est très ancienne, et le moyen-âge correspond à une période de fort développement de trois activités encore présentes au XXIème siècle : la pisciculture, la sylviculture et l’agriculture (Mathis 2016). L’essor de la pisciculture au XIème siècle est lié à celui de l’activité agricole, la seule activité piscicole n’étant pas assez rentable. A contrario, la présence des étangs a favorisé l’activité agricole, en permettant notamment l’irrigation des prairies et des cultures lors des périodes sèches.

5Une partie emblématique des Vosges saônoises, le plateau des mille étangs est majoritairement recouvert de forêts (70% de la surface), et l’agriculture couvre 25% du territoire. Le reste de ce territoire se répartit entre les étangs, naturels ou créés par l’homme, et les rares zones urbanisées. Melisey, la plus grosse agglomération, compte 1681 habitants en 2019. Un développement récent, au XXème siècle, d’une activité de tourisme y est observée, soit par l’implantation de résidences secondaires, soit par le développement du tourisme patrimonial et des activités physiques et de loisir.

6Sur le plan agricole, le territoire des Vosges saônoises est en pleine mutation. La déprise agricole a fortement concerné les Vosges saônoises au XXème siècle, se traduisant par une diminution de la population agricole, du nombre d’exploitations (750 en 1988, 305 en 2010), et par l’enfrichement ou la reforestation d’une partie des prairies et des cultures (Figure 2). A ces évolutions peuvent être associées une perte de valorisation économique, une perte de vitalité sociale des communes, mais aussi une perte de qualité environnementale liée à la disparition d’habitats ouverts entretenus par l’agriculture.

Figure  : Evolution type du paysage entre 1950 et 2005. Document Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges

7L’activité agricole principale est l’élevage bovin pour la viande ou pour le lait. Les résultats du recensement de 2020 n’étant pas encore connus, il n’est pas possible de connaitre précisément l’évolution récente de l’activité agricole. Si la vocation générale du territoire – élevage bovin basé sur l’herbe – reste d’actualité, il semble, sur la base des informations acquises lors de la présente étude, que la situation agricole est en train de changer. Ces changements portent autant sur les manières de produire (agrandissement des exploitations, émergence de l’agriculture biologique, début de substitution des prairies par des cultures fourragères comme le maïs même à des altitudes a priori peu favorables, intensification des pratiques par augmentation du chargement animal et de la fertilisation), que sur la valorisation des produits (évolution du prix du lait et de la viande, émergence des circuits courts et de proximité de commercialisation, nouvelles attentes des circuits longs). Ces évolutions interrogent sur la durabilité économique, écologique et sociale du modèle agricole des Vosges saônoises

Dynamiser le territoire

8Comme nombre de territoires ruraux en France, le territoire des Vosges saônoises se questionne sur son avenir : Comment assurer des emplois et une qualité de vie aux habitants, préserver l’environnement et développer l’attractivité du territoire ? Les responsables politiques et les collectivités publiques (Conseil départemental de la Haute-Saône, Région Bourgogne-Franche Comté, Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges, Communautés de Communes, Chambre d’Agriculture) sont bien conscients des potentialités et des limites du territoire. Dans le cadre d’une stratégie globale pour dynamiser le territoire, ces acteurs ont souhaité mobiliser en 2017 un collectif d’universitaires (Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est), afin de les accompagner dans leur réflexion prospective. Ils ont fixé à ce collectif l’objectif d’établir un diagnostic territorial et d’imaginer les solutions pour cette dynamisation. Le présent article traite du volet agricole de cette démarche.

9L’agriculture joue un rôle important dans cette problématique de dynamisation du territoire. En effet, elle est d’abord essentielle pour maintenir une activité économique et une présence humaine sur tout le territoire, en assurant un revenu décent aux agriculteurs et aux acteurs des filières amont et aval de l’agriculture. De cette bonne santé économique dépend l’attractivité du territoire pour les futurs agriculteurs, et donc le maintien de cette activité. L’agriculture est ensuite impliquée dans le développement de l’agri-tourisme (hébergement, activités touristiques proposées par les agriculteurs), dans la mise en place des circuits courts et de proximité pour l’alimentation, et dans la création et la conservation du paysage. En matière d’environnement, l’agriculture représente à la fois un risque (émission de polluants et destruction de biodiversité) et un élément indispensable au maintien de paysages et d’écosystèmes (création ou entretien d’habitats favorables à la biodiversité, séquestration du carbone).

Une mission universitaire pour une vision prospective

10Le rôle actuel et futur de l’agriculture a donc été l’un des éléments importants de la réflexion de la mission universitaire. L’objectif a d’abord été de dresser un panorama de la situation actuelle de l’agriculture, de ses structures, de ses productions et de ses filières. L’analyse de cette situation a ensuite permis d’identifier les verrous à lever et leviers à activer pour que l’agriculture participe pleinement au développement futur du territoire.

11Le territoire d’étude correspond à l’ensemble des communes des 3 CC (mille étangs, Pays de Luxeuil, Rahin et Chérimont). La commune de Fougerolles qui fait partie de la CC de la Haute-Comté n’a pas été prise en compte du fait de sa particularité du point de vue agricole (filière cerise à kirch, et prés-vergers).

12Le travail s’est principalement appuyé sur les réflexions d’un groupe de 8 scientifiques (enseignant-chercheurs et chercheurs) de l’Université de Lorraine (ENSAIA - Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries Alimentaires) et d’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement - sites de Mirecourt et de Vandoeuvre les Nancy). Un groupe de 30 élèves-ingénieurs agronomes de l’ENSAIA, encadrés par ces scientifiques, a conduit un travail de recherche bibliographique et a réalisé des enquêtes en 2 phases (Figure 3) : A l’automne 2017, 118 questionnaires ont été adressés à des agriculteurs du territoire, et 61 ont répondu à cette enquête. En février 2018, ces enquêtes ont été complétées par une semaine de rencontre sur le terrain, totalisant plus de 100 heures d’entretien semi-directifs avec 30 agriculteurs, ainsi que des rencontres avec différents acteurs : responsables politiques, représentants des administrations locales et nationales, associations, décideurs économiques.

Figure  : Répartition des enquêtes 2017-2018 auprès des agriculteurs du plateau des mille étangs

Figure  : Répartition des enquêtes 2017-2018 auprès des agriculteurs du plateau des mille étangs

13L’ensemble de ces travaux avait pour objectif : 1) de collecter des données caractérisant les productions agricoles et les systèmes d’exploitation, 2) d’identifier les forces et les faiblesses des systèmes de production agricole, 3) de comprendre le rôle de l’environnement naturel, social, économique et politique sur l’activité agricole, 4) d’identifier les enjeux et la perception de ces enjeux par les acteurs locaux du monde agricole, et 5) d’échanger autour des évolutions possibles des modèles agricoles du plateau des mille étangs.

Une agriculture dominée par la production de lait et de viande bovine en circuit long

Une agriculture majoritairement tournée vers l’élevage bovin

14L’agriculture du territoire des Vosges saônoises est quasi exclusivement orientée vers l’élevage bovin, pour le lait ou pour la viande (cheptel de 12975 animaux en 2010). Cette situation s’explique d’abord par une adaptation de la production aux potentialités du territoire : Plusieurs contraintes agronomiques (rudesse du climat, fertilité des sols, topographie) sont défavorables à une production suffisamment rentable de grandes cultures comme dans la plaine Haut saônoise (orge, blé, colza…). La production fourragère à base de prairies, dont une partie est pâturée, est par contre compatible avec des parcelles très humides une partie de l’année, et des terrains non mécanisables par les engins agricoles. Par ailleurs, le territoire suit la tendance générale de l’agriculture française vers une forte spécialisation des régions, les Vosges saônoises ayant fait ce choix de l’élevage bovin.

15Il en résulte que le territoire exporte la majeure partie de ses produits laitiers et carnés bovins, mais ne produit pas assez d’autres produits animaux (ovins, caprins) ou végétaux (grandes cultures, arboriculture, maraichage) pour assurer l’autonomie alimentaire des habitants du territoire et de ses visiteurs. La production de volailles de chair, d’œufs et de viande porcine est anecdotique sur le territoire.

16L’élevage bovin est plutôt extensif (moins d’1 animal par ha SAU, surface agricole utile, sur l’ensemble des communes), et largement basé sur une alimentation en fourrage à base d’herbe. En 2010, 79% de la SAU est constituée de surfaces toujours en herbe (STH), c’est-à-dire de prairies permanentes (Plantureux, et al., 2012). Cette proportion STH/SAU de 79% est très élevée par rapport au territoire national (28%). Elle est également très stable jusqu’en 2010 (80% en 1998), ce qui contraste avec la réduction observée au niveau national entre 1998 (35%) et 2010 (28%). La tendance rapportée lors des enquêtes par les agriculteurs et leurs conseillers montre une intensification progressive, avec un recours croissant au maïs fourrage et prairies temporaires en remplacement des prairies permanentes.

17Les produits (viande et lait) sont peu différenciables de ceux produits à l’échelle nationale, en l’absence de l’existence de signes de qualité officiels spécifiques aux Vosges saônoises (Figure 4). Il existe deux signes de qualité pour les produits laitiers issus de l’élevage bovin (IGP Gruyère et AOC munster), mais ces démarches à étendue géographique très large ne permettent pas au consommateur d’identifier si les produits proviennent des Vosges saônoises. On note cependant que quelques rares élevages ont fait le choix de la transformation du lait en fromages, en allant même parfois jusqu’à donner un nom spécifique à leurs produits, les rattachant ainsi au territoire de production.


Figure  : Carte des signes de qualité du département de la Haute Saône. Source : Préfecture de Haute Saône - http://www.haute-saone.gouv.fr

Figure  : Carte des signes de qualité du département de la Haute Saône. Source : Préfecture de Haute Saône - http://www.haute-saone.gouv.fr

18Les productions autres que l’élevage bovin sont très faiblement représentées sur le territoire. Elles sont le fait de quelques rares exploitations professionnelles installées en maraichage, en élevage de petits ruminants (caprins, ovins), en apiculture, en arboriculture ou en maraichage. Elles sont aussi pratiquées par un grand nombre de particuliers, en dehors de la profession agricole.

19L’agriculture biologique concerne des surfaces et une part de la production agricole faibles. A l’échelle du département de la Haute-Saône, 11% des surfaces sont certifiées en agriculture biologique en 2018 (7,5% au niveau national), mais ces surfaces progressent rapidement puisqu’elles étaient de 9% en 2016 (5% au niveau national) (Agreste Bourgogne Franche Comté 2017) (Agence bio 2020). Parmi les exploitations enquêtées, 7/61 étaient certifiées en agriculture biologique démontrant que sur la dynamique de l’agriculture biologique les Vosges Saônoises se ne démarquent pas du reste du département.

Une démographie agricole très hétérogène

20Au sein des Vosges saônoises, la répartition de l’activité agricole est hétérogène selon les communes et les secteurs. Les 118 exploitations enquêtées (carte à gauche de la Figure 3) correspondent à l’ensemble des exploitations identifiées dans la base de données de la Direction Départementale des Territoires de Haute-Saône. Cette carte montre que les exploitations agricoles se situent principalement dans la partie nord-ouest du territoire, avec une forte concentration sur la commune de Saint Bresson et autour. Cette hétérogénéité est encore plus marquée si l’on intéresse à la proportion des agriculteurs et salariés agricoles dans la population (Figure 5).

Figure  : Part des agriculteurs et salariés agricoles en UTA (Unités de Travail Agricole) dans la population des communes des Vosges saônoises (71)

Figure  : Part des agriculteurs et salariés agricoles en UTA (Unités de Travail Agricole) dans la population des communes des Vosges saônoises (71)

21Une des explications de cette hétérogénéité est la proximité des deux villes de Belfort (à l’est) et de Lure (au sud), qui sont des pôles attractifs, en particulier pour l’emploi industriel (industrie automobile) et l’emploi tertiaire. A l’inverse, la partie Nord-Ouest du plateau est plus éloignée de ces centres urbains, et l’activité agricole y est plus forte. Par ailleurs, le caractère principalement forestier du nord-est de la zone (CC des mille étangs), explique la faible part de l’activité agricole.

Trois grands types d’exploitation

22L’analyse de 61 enquêtes réalisées en 2017 auprès des exploitants agricoles des Vosges saônoises fait apparaitre trois grands types d’exploitation (Tableau 1).

Tableau  : Typologie des exploitations agricoles des Vosges Saônoises. Proposition mission universitaire 2017

Tableau  : Typologie des exploitations agricoles des Vosges Saônoises. Proposition mission universitaire 2017

23La catégorie la plus représentée est constituée de grosses et moyennes exploitations (plus de 50 ha) spécialisées sur une production bovine, soit pour la production de lait soit pour la production de viande. Ces exploitations sont qualifiées de « traditionnelles » car elles sont issues de l’agrandissement et de la spécialisation d’exploitations présentes depuis plus de cinquante ans et transmises au sein de familles. Elles produisent en mode « conventionnel », et commercialisent leur produit dans des filières longues auprès de laiteries coopératives ou privés ou de marchands d’animaux. Ces exploitations sont le reflet de l’évolution de l’agriculture sur le territoire national qui a vu ces 50 dernières années une restructuration induisant une « mise au norme internationale d’une agriculture qui était restée très artisanale jusqu’en 1950 » (Bourgeois et Demotes-Mainard 2000). Une plus faible part des exploitations a soit conservé, soit mis en place une diversification des activités qui peut prendre plusieurs formes : sur la nature des productions (2 voire plus d’ateliers animaux), sur la diversité des produits (ex : transformation du lait en fromages ou yaourts), sur le mode de production (passage du mode conventionnel à l’agriculture biologique). La plupart de ces exploitations restent dans des circuits de commercialisation longs, mais certaines ont développé des circuits courts et de proximité par la vente à la ferme de leur produit, ou en relation avec des commerçants ou restaurateurs. Ces exploitations sont qualifiées de « différenciées » car elles sont issues à l’origine du même modèle que les exploitations « traditionnelles », mais elles ont recherché au cours des 20 à 30 dernières années à prospecter d’autres voies. Enfin, on note depuis une décennie l’émergence de nouvelles formes d’exploitations, caractérisées par des petites dimensions (surfaces, effectifs animaux), des productions très diversifiées (ex : maraichage), et la commercialisation quasi exclusive en circuits courts. Les exploitations différenciées et nouvelles restent malgré tout très minoritaires sur le territoire des Vosges saônoises. Dans ce cadre la pluriactivité concerne 15% des exploitations interrogées (9/61) contre 14% à l’échelle nationale en 2012 (Mutualité Sociale Agricole, 2012, https://wikiagri.fr/​articles/​des-agriculteurs-pluriactifs-et-heureux/​10042).

La question du foncier, un levier incontournable pour l’avenir du territoire

24Le foncier est déterminant pour l’activité agricole et l’aménagement de l’espace rural (Barthélemy et Barthez 1978). Plusieurs questions se posent en agriculture lorsque l’on cherche à évaluer les atouts et les contraintes liées au foncier, en termes :

25- de surface, car une surface minimale est nécessaire à la rentabilité économique des exploitations

26- de parcellaire, car l’organisation du travail et la charge de travail peuvent être très variables selon l’éloignement du siège d’exploitation, la dimension et la forme des parcelles, et leur accessibilité (chemins et routes)

27- de potentiel agronomique des parcelles : fertilité du sol, possibilité de mécanisation, accessibilité (inondations, portance du sol)

28- de statut juridique : en propriété ou en location, durée des baux

29L’enquête conduite auprès des exploitants agricoles des Vosges saônoises a fait apparaître le foncier comme un frein majeur au développement de l’activité agricole. Le foncier est ainsi considéré comme « figé et handicapant » par de nombreux exploitants, et l’analyse permet de dégager trois éléments détaillés ci-après :

Des surfaces agricoles faibles et morcelées

30Si la moyenne des surfaces des exploitations des Vosges saônoises est faible (34,9 ha par exploitation au recensement de 2010), ce chiffre masque une réalité de juxtaposition de d’exploitants à plein temps sur de plus grandes surfaces, avec des doubles-actifs ou des exploitants proches de la retraite gérant des plus petites surfaces. Ainsi, les 61 exploitations ayant répondu à l’enquête ont une surface moyenne de 77,7 ha, malgré tout beaucoup plus faible que la moyenne de 140 ha pour le département de la Haute Saône. Dans le modèle agricole actuel des Vosges saônoises où domine la commercialisation par des circuits longs sans transformation et/ou vente à la ferme, cette surface de moins de 80ha dans un territoire à potentiel agronomique moyen (ex : rendement des prairies faible) pose problème sur le plan de la rentabilité économique. Dans les secteurs sud et est des Vosges saônoises, se pose de manière croissante la question du grignotage et du mitage des terres agricoles par l’urbanisation (construction de logements individuels). Ce phénomène est d’autant plus grave que cela se fait au détriment des terres les plus intéressantes sur le plan agronomique (mécanisation, fertilité du sol). Ces surfaces planes servent à constituer les ressources fourragères hivernales (foin, enrubannage très présent sur le territoire, ensilage d’herbe et de maïs) dans une région où le climat impose un hivernage long des animaux.

31Ce parcellaire est en outre morcelé, et l’enquête révèle qu’un tiers des exploitations ont moins de 30% de leur SAU à moins de 500 m du siège d’exploitation, et plus de 65% des exploitations ont plus de 10 ilots différents de culture ou de prairies. Ce morcellement se traduit par des coûts de production plus élevés (charge de mécanisation, temps de travail), une organisation plus compliquée du travail, et in fine une fragilité des structures.

Un potentiel agronomique très hétérogène des parcelles

32Du fait des caractéristiques montagneuses du territoire et de la présence importante de l’eau, les hétérogénéités sont très fortes entre les parcelles. Les meilleures parcelles sont généralement celles situées en fond de vallée, planes, avec un sol profond et une alimentation hydrique correcte même en cas de sécheresse estivale, même si la proximité des cours d’eau peut constituer un frein en période d’inondation. Par contre les parcelles situées en altitude ou celles enclavées dans des massifs forestiers, plus froides, ou les parcelles pentues, à sols peu profonds, avec des affleurements de roches, constituent des situations agronomiques défavorables. Dans une partie de ces parcelles, les agriculteurs doivent consacrer des moyens spécifiques pour lutter contre l’enfrichement par une strate arbustive voire arborée. Cela se traduit par un jeu de contraintes important pour les exploitants qui doivent s’adapter au potentiel, bon ou mauvais, de chaque parcelle. Cette hétérogénéité généralisée a des conséquences sur la fluidité des échanges de parcelles, car chaque exploitant n’est jamais certain de retrouver dans cet échange une parcelle de potentiel agronomique équivalent. Il a ainsi été clairement indiqué durant les entretiens réalisés auprès des exploitants une très grande difficulté à échanger les parcelles sur le territoire, des tentatives plus ou moins réussies sur des zones très réduites ont été ébauchées, leurs généralisations semblent dans le contexte local très difficiles.

La question des relations entre propriétaires et locataires

33L’histoire des successions a abouti à une multiplicité de très petits propriétaires, dont certains inconnus, pour chaque parcelle agricole. Les agriculteurs, majoritairement locataires de ces terres, sont donc dépendants de ces propriétaires. Une partie des baux de locations sont verbaux, et d’une durée annuelle. Cela pose d’abord la question de la pérennité de l’activité agricole, un exploitant hésitant à investir s’il n’a pas de garantie minimale sur la durée du contrat de location de ses terres. La gestion de ces surfaces est également compliquée par le statut de location et la multiplicité des propriétaires : 1) pour la possibilité d’échanges de parcelles entre agriculteurs pour regrouper leur parcellaire, faciliter leur organiser et gagner du temps, 2) pour la mise en place de la gestion technique, comme par exemple pour le défrichage ou d’autres actions qui ne reçoivent pas l’assentiment des propriétaires.

34Deux éléments supplémentaires ont émergé des enquêtes sur cette problématique du foncier : 1) le fait que dans certaines parties du territoire comme le pays des mille étangs, il y a une relation forte entre le foncier agricole, forestier et les étangs. Il existe par exemple une demande émergente de résidences secondaires comprenant un étang, une surface boisée, et une surface agricole pour de l’élevage équin de loisir, 2) le rôle de SAFER (Soci��té d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural) est apparu peu efficace sur le territoire.

Des constats aux propositions

35Compte tenu de l’importance de ce « verrou » du foncier, l’analyse faite par la mission universitaire conduit à proposer que soit mis en place une politique publique volontariste 1) pour accompagner la mise en place de remembrements ou à défaut de systèmes d’échanges basés sur une évaluation objective des potentialités agronomiques, et pour initier des actions collectives de défrichement 2) pour reconnecter les propriétaires avec leur territoire, ses enjeux, et les agriculteurs qui le valorise (actions de sensibilisation et d’information), et 3) pour sensibiliser les décideurs publics à la nécessité de préserver les surfaces agricoles d’une artificialisation excessive.

Les filières longues en questionnement, les filières courtes en émergence

Filières longue et courte « lait »

36La principale filière de production et de commercialisation de produits agricoles du territoire concerne le lait. Cette filière, schématisée sur la Figure 6, repose principalement sur des exploitations de type « conventionnel », qui livrent leur lait à deux industriels (le groupe privé Lactalis et la coopérative Ermitage). Les unités de de transformation du lait de ces industriels ne se situent pas sur le territoire des Vosges saônoises, et leurs produits sont majoritairement exportés en dehors de la Haute-Saône. Ce système est le plus répandu en France, et a un poids important dans l’économie agricole du territoire, en faisant vivre des agriculteurs et des entreprises en amont et en aval. Dans cette filière longue basée sur les exploitations de type « conventionnel », le prix du lait dépend du mix-produit de chacun des acteurs. Le mix-produit caractérise la stratégie de valorisation du lait mise en place par les industriels acheteurs de lait et qui transforment ce lait. Dans la filière laitière, on distingue en 3 grandes voies de valorisation qui vont impacter le prix du lait payé au producteur. La première est la valorisation PGC France (Produits Grande Consommation France considérée comme une valorisation plutôt stable et à haute valeur ajoutée), la valorisation beurre/poudre sur le marché mondial très volatile et le plus souvent en dessous des coûts de production et enfin la valorisation PGC export Europe (plutôt stable avec une valeur ajoutée moyenne). Pour la coopérative Ermitage, le mix-produit, orienté principalement sur des produits à valeur ajoutée, permet de garantir un prix du lait significativement plus élevé que la moyenne nationale. Pour Lactalis, beaucoup plus exposé à la volatilité des cours mondiaux par une part significative des produits industriels (beurre-poudre) dans son mix-produit, le prix du lait payé au producteur est plutôt plus faible. Il est important aussi de préciser que notre enquête s’est déroulée quelques mois après l’effondrement du prix du lait observé en 2016-2017. Associée à cette volatilité des prix, une évolution vers une agriculture plus intensive en intrant est observée (remplacement progressif des prairies par du maïs, baisse de l’autonomie en azote des exploitations par l’accroissement de l’achat d’aliments pour les animaux et d’engrais minéraux) et des tailles croissantes d’exploitation et de troupeaux. L’objectif est ici d’augmenter le niveau de production et de permettre des économies d’échelle. Trois risques peuvent être observés sont inhérents à ce modèle : 1) une fragilité des systèmes laitiers exposés à cette volatilité de marché, volatilité sur laquelle les exploitants ne peuvent pas agir, 2) un risque économique car la compétitivité volume/prix des exploitants des Vosges saônoises est dégradée car les conditions de production sont moins favorables (rendements fourragers, coûts de production) que les grandes zones de production laitière européennes et mondiales, 3) un risque lié aux conséquences environnementales (qualité de l’eau et biodiversité) et sociales (désertification agricole).

37Lactalis s’est également positionné pour répondre à l’augmentation de la consommation de produits laitiers « bio » en sollicitant des producteurs des Vosges saônoises d’exploitations de type « différenciés » pour mettre en place une collecte. Avec un lait mieux rémunéré pour le producteur (mais aussi des productions moindres), et des impacts environnementaux favorables, ce système apparait comme intéressant pour l’avenir du territoire. Il comporte néanmoins un risque lié à l’arrivée sur le marché international de volumes de lait bio croissants issus de régions ou pays à faible coût de production. Ceci pourrait pénaliser fortement l’émergence de cette filière « bio » en circuit long. Par ailleurs, la demande de l’industriel est de cibler la collecte sur des exploitations de taille significative pour optimiser sa collecte laitière (plus de 500.000 litres de lait par exploitation et par an ont été annoncés comme seuil minimum pour entrer dans la démarche), ce qui s’oppose à l’idée d’un maillage du territoire par des fermes laitières « bio ».

38Enfin, à titre beaucoup plus restreint, quelques « nouvelles exploitations », dans une démarche soutenue par les collectivités publiques, font émerger de produits laitiers de proximité, notamment à destination des centres urbains proches (Luxeuil, Lure, Vesoul, Belfort).

Figure  : Modélisation de la filière lait du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017

Figure  : Modélisation de la filière lait du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017

Filières longue et courte « viande »

39La filière viande bovine du territoire, avec ces multiples acteurs, est une filière très éclatée avec une hétérogénéité dans les types d’animaux produits : veaux, génisses, vaches de réforme, broutards, bœufs ou taurillons issus de l’atelier laitier ou de l’atelier allaitant. Cette grande diversité dans les types d’animaux est aussi associée à la nécessité de valoriser la totalité de la carcasse (avant et arrière). Cette complexité place au cœur de la filière les négociants et chevillards qui par leur connaissance des marchés (GMS, Boucheries traditionnelles, restauration commerciale ou collective) font abattre et distribuent aux différents circuits commerciaux (Figure 7). Pour les exploitants qui cherchent à raccourcir le nombre d’intermédiaires et investir les circuits courts et de proximité, l’abattoir de Luxeuil situé à moins d’une heure de route de tous les points du territoire se pose comme un acteur indispensable. Le développement d’un approvisionnement de proximité annoncé par les collectivités devrait conforter l’activité de l’abattoir. La production de viande, de génisses allaitantes en particulier, se fait principalement à l’herbe et dans une stratégie bas-intrant avec de très faibles apports extérieurs. Cette production plutôt vertueuse est un marqueur du territoire principalement herbager mais encore trop peu communiquée. La très faible production de céréales liée aux caractéristiques pédoclimatiques difficiles interdit l’engraissement des mâles issus du troupeau allaitant qui sont tous ou presque exportés en Italie ou en Espagne pour y être engraissés. La dépendance historique à ce marché n’inquiète pas les acteurs interrogés. Pour beaucoup, le point clé de la filière est de par sa complexité son manque de transparence avec un partage de la valeur ajoutée insuffisant entre les acteurs. Depuis 2017, au niveau national, il semble s’opérer au sein de la filière viande de nouvelles réponses aux demandes sociétales : des animaux principalement produits à l’herbe et sans soja OGM dans le respect du bien-être animal et présentant des carcasses plus légères permettant de diminuer le grammage de chaque morceau. Cette logique s’accompagne de la mise en œuvre de contrats dits tripartites qui assurent une transparence dans le partage de la valeur ajoutée ainsi qu’une juste rémunération de l’ensemble des acteurs et des producteurs en particulier. Les Vosges saônoises de par leur spécificité exclusivement herbagère possèdent tous les atouts pour s’insérer dans ces démarches qui s’appuient sur de nouvelles valeurs pouvant être associées au produit « viande » : en particulier la valorisation des prairies permanentes et donc de la biodiversité, du stockage carbone... avec un accès au pâturage pour le bien-être animal. Jusqu’à maintenant, cette logique en plein développement sur le territoire national, n’est pas retrouvée sur les Vosges saônoises, aucune stratégie claire liée à ces externalités positives potentielles n’a été développées par les acteurs du territoire. Un point de vigilance a été signalé et concerne la valorisation des animaux issus de l’agriculture biologique qui reste particulièrement difficile, cette situation n’est pas liée au territoire car se retrouve sur l’ensemble du territoire français.

Figure  : Modélisation de la filière viande du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017

Figure  : Modélisation de la filière viande du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017

Filières diversifiées

40Le développement des circuits courts et de proximité sur les Vosges saônoises suit celui observé sur l’ensemble du territoire français. Principalement poussé par le développement de toutes les formes de vente directe (paniers, AMAP, vente à la ferme, marchés, magasins de producteurs…), cette stratégie a permis d’installer un nouvel associé au sein d’exploitations déjà existantes et majoritairement engagées dans les filières longues mais aussi l’installation de nouveaux exploitants, pour certains non-issus du milieu agricole. La plupart des acteurs interrogés engagés dans ces démarches indiquent avoir dû sortir du territoire pour valoriser commercialement leur production, le bassin de consommation des Vosges saônoises étant insuffisant.

41Entre la vente directe et les filières longues nationales ou internationales, une nouvelle opportunité s’est ouverte aux producteurs. Faisant suite aux Etats Généraux de l’Alimentation de 2017, la loi Egalim promulguée en octobre 2018 a comme objectif initial de rapprocher le monde agricole et celui de l’alimentation, tout en assurant un partage équitable de la valeur ajoutée au sein de la chaine d’approvisionnement. Même si l’utilisation de la mention « produits locaux » dans l’approvisionnement en restauration collective n’a pas été explicitement retenue, la mention géographique étant contraire au principe de concurrence européen, une volonté politique a été réaffirmée pour intégrer ces produits locaux dans l’approvisionnement en restauration publique. Les collectivités se devront d’atteindre 50% de produits respectant le cadre de la loi Egalim (avec 20% de Bio et le reste avec des produits sous certifications). Les collectivités interrogées indiquent que leur volonté d’accroitre les produits de proximité et de qualité dans leur restauration se fera sous réserve d’un approvisionnement régulier en volume avec des prix parfois incompatibles avec ceux pratiqués en vente directe. Une réflexion plus poussée doit s’engager pour structurer l’offre et la rendre plus efficiente en adéquation avec les besoins de la restauration collective : pouvoir passer d’une approche commerciale de gré à gré à une réponse aux appels d’offre des marchés publics, une logistique à optimiser, une définition d’un cahier des charges de production.

42L’agritourisme reste peu présent sur le territoire et les acteurs interrogés ont indiqué la difficulté d’intégrer ce type d’activité, très chronophage au sein de systèmes d’exploitation principalement d’élevages, eux-mêmes déjà très tendus sur la question du temps de travail.

Figure  : Modélisation de la filière diversifiée du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017

Figure  : Modélisation de la filière diversifiée du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017

Le ressenti des agriculteurs

43Une partie de l’enquête s’est intéressée à la manière dont les agriculteurs percevaient la situation agricole actuelle du territoire, du rôle des différents acteurs et de la pertinence des solutions proposées ou déjà mises en œuvre. Au-delà des diagnostics et des solutions qui peuvent être proposées par les responsables politiques du territoire, ou suggérés par la mission universitaire, il est en effet apparu indispensable de recueillir l’avis des principaux acteurs de l’activité agricole. Il ressort de cette analyse de 61 réponses d’agriculteurs :

  • Que les organismes en charge du conseil agricole (chambre d’agriculture, groupement des agrobiologistes, coopératives, …) proposent des prestations d’analyse et de conseil qui répondent bien aux attentes des agriculteurs, ce qui valide cet objectif de conseil. Les agriculteurs estiment cependant que ces organismes sont géographiquement éloignés de leur territoire ce qui limite l’accessibilité à ce conseil. Ils indiquent aussi la très grande difficulté pour aboutir dans la mise en place de projets agricoles collectifs, les raisons évoquées sont multiples et apparaissent plus relever d’éléments sociologiques inaccessibles dans nos enquêtes que d’éléments agronomiquement objectivables.

  • Que les collectivités publiques doivent avoir un rôle de soutien de l’agriculture, en agissant sur le foncier agricole (remembrement, pérennité du fermage, défrichement et déboisement), sur l’émergence de filières locales (magasins collectifs de producteurs, restauration collective) et sur le développement de l’agritourisme. L’attente des agriculteurs est donc forte vis-à-vis de ces collectivités, et ils reconnaissent le rôle de ces collectivités et nombre de réalisations. Ils estiment cependant que de bonnes idées de projets émergent, ils sont trop souvent abandonnés. Une partie du monde agricole est également en attente d’une information plus grande sur les démarches et les sources de financement de projets

  • Que les acteurs économiques des filières longues (lait et viande) doivent s’adapter et anticiper les besoins des agriculteurs, ce qu’ils font généralement. Les interrogations des agriculteurs sont cependant très fortes sur l’avenir de ces filières longues : incertitudes sur le maintien des abattoirs indispensables aux filière « viande », inquiétudes sur l’arrêt possible de la collecte (exploitations trop dispersées et production par exploitation insuffisante pour motiver un industriel), doutes sur l’avenir de la filière bio (maintien de la collecte et des niveaux de prix actuels), questionnement sur les stratégies et l’éthique des différents acteurs.

  • Que les acteurs des débouches en circuit court et de proximité doivent accompagner les agriculteurs à mettre en place des réseaux de distribution locaux. Le rôle de ces acteurs est reconnu comme indispensable par les agriculteurs, pour vendre et se faire connaître. Cependant, certains modes de commercialisation, très chronophages, ne sont finalement pas forcément plus rémunérateurs que les circuits longs sur la productivité du travail. Il est noté aussi que le prix de certains produits proposés dans ces circuits peut exclure une partie des consommateurs.

  • La plupart des exploitants interrogés n’ont pas naturellement évoqué les étangs. Bien que certains d’entre eux en possèdent ou en aient l’usage, il semble y avoir une déconnection quasi complète entre l’activité agricole et les étangs présents sur le territoire. Il aurait été très intéressant d’interroger des propriétaires d’étangs non agriculteurs pour mieux appréhender les interactions entre « monde agricole » et « monde des étangs ». A notre sens sans une collaboration forte entre ces deux mondes, il sera difficile d’avoir un projet de territoire cohérent.

Conclusion : La richesse environnementale du territoire sous-exploitée par l’agriculture

44En comparaison à d’autres territoires agricoles, les Vosges saônoises peuvent apparaitre comme un écrin encore très protégé. Les impacts négatifs de l’agriculture sur l’environnement (qualité des sols, de l’eau et de l’air, biodiversité) sont encore mineurs, sauf dans des situations ponctuelles. Cette situation s’explique par une faible proportion du territoire consacrée à l’agriculture, et à un modèle agricole généralement bas-intrants avec beaucoup de prairies (hot spot de biodiversité, séquestration de carbone, filtration des polluants, utilisation d’intrants chimiques faible ou nulle). Ces écosystèmes prairiaux constituent des milieux originaux créateurs de biodiversité. Associés aux surfaces boisées et aux étangs, ils contribuent au classement Natura 2000 d’une partie des Vosges saônoises.

45Un scénario d’évolution de l’agriculture du territoire serait défavorable à cette qualité de l’environnement : il s’agit de celui d’une intensification forte de la production laitière pour produire de grandes quantités de lait en essayant d’être compétitif sur une stratégie volume-prix peu différenciée sur le marché national ou international. Si ce scénario présente certains avantages micro-économiques, il ferait peser des risques sur la qualité de l’environnement. C’est pourtant la qualité de son environnement qui constitue une richesse majeure pour le développement du territoire (attractivité pour les habitants et pour les touristes). Il faut donc à la fois préserver l’activité agricole qui conditionne la qualité des paysages et de l’environnement, et faire que cette agriculture n’ait pas ou peu d’impact négatif. A notre sens, une part de la solution réside dans l’encouragement de projets collectifs et individuels où la richesse environnementale devient une ressource économique pour les agriculteurs. Le soutien à la pluriactivité nous semble aussi pertinente sur ce territoire, il s’agit d’une part d’encourager toute forme d’activité touristique liée à la ruralité et respectueuse de l’environnement, qui pourrait constituer une source de revenu complémentaire pour les agriculteurs. Il s’agit d’autre part d’encourager la pluriactivité basée sur les trois activités historiques « agriculture-sylviculture-pisciculture », permettant ainsi de maintenir des exploitations agricoles de taille modeste, mais dont la complémentarité avec une ou deux autres activités permet de dégager un revenu décent pour le producteur.

46En conclusion de cette étude, il nous apparait que les Vosges Saônoises constituent un territoire d’exception possédant un réel potentiel non encore valorisé, mais que la course à la compétitivité par les prix nous semble perdue d’avance. La valorisation de la qualité environnementale du territoire dans les débouchés (prix et volume de vente) est une question fondamentale. Dans le cadre de circuits courts et de proximité comme de circuits longs, le territoire se doit d’internaliser les externalités positives, dans une logique de panier de biens et de services permettant d’assurer une rente de qualité territoriale (RQT). Ces approches ont été très bien étudiées et conceptualisées en particulier par Mollard et Pecqueur (Hirczak et al. 2008) sur des territoires présentant des qualités environnementales particulières (Diois, Aubrac, Baronnies, Bresse…) et montrent que « la qualité est intrinsèquement liée au territoire, du fait qu’il est doté de ressources spécifiques valorisées conjointement et peu substituables à celles d’un autre territoire » ce qui est le cas de notre territoire d’étude. Notre étude a permis d’identifier des pistes qui nécessitent à la fois une coordination des acteurs privés (question foncière, cahier des charges socle pour les producteurs, rôle des étangs dans cette démarche de RQT ), une coordinations institutionnelle pour favoriser l’animation d’acteurs avec des intérêts parfois divergents (quelle vision pour le développement du tourisme sur le territoire ? quels moyens humains pour l’animation du territoire ?) et un équilibre et cohérence entre action privée et action publique pour éviter une prise en main trop forte soit de la sphère publique parfois déconnectée de la réalité économique, soit de la sphère privée qui ne garantirait pas sur le long terme la pérennité des démarches mises en œuvre.

Remerciements

Encadrants ENSAIA et INRAE : Marc BENOIT, Claire COLLAS, Cyril FEIDT, Alexandre LAFLOTTE, Sylvain LERCH, Yves LE ROUX, Sylvain PLANTUREUX, Amandine RIVIERE
Elèves-ingénieurs agronomes de l’ENSAIA : Lucie ACHARD, Mathilde ARESI, Alice BERNARD, Laetitia BILLES, Renaud BOULEC, Julien BREDA, Maeva CREMILLEUX, Léa DELSAUT, Claire DUCRET, Adrien ESTEVEZ, Violaine FAVRE , Céline FEOUX-MILAN, Lola GODET, Margot GORTAIS, Coline GRANDJACQUES, Maëva GUILLIER, Elodie HEGARAT, Pauline HERRMANN, Guillaume LECOCQ, Alice LYONNET, Gentiane MAILLET, Rémi MARIVIN, Agathe MOYSAN, Claire PASCARETTI, Cosette PEREZ, Charline ROBERT, Maxime SCHMITT, Adrien VALETTE.

Accompagnement de l’étude : Julien BOURBIER (Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges) et Pascale GARRET (Chambre d’Agriculture de Haute-Saône)

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Bibliographie

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Agreste Bourgogne Franche Comté, 2017. « Numéro 29, novembre 2017. http://draaf.bourgogne-franche-comte.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/memento2017_cle4fce95.pdf ».

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Bourgeois L., et Demotes-Mainard M., 2000. « Les cinquante ans qui ont changé l’agriculture française ». Économie rurale 255 (1): 14‑20. https://doi.org/10.3406/ecoru.2000.5151.

Fourquin,C., Guerin H., Theobald N., et Thiebaut J., 1972. « Données nouvelles sur l’histoire géologique des Vosges méridionales ». C.R. somm. soc. Geol. Fr. 3/3bis: 306.

Hirczak M., Moalla M., Mollard A., Pecqueur B., Rambonilaza M., et Vollet D., 2008. « Le modèle du panier de biens: Grille d’analyse et observations de terrain ». Économie rurale, no 308 (décembre): 55‑70. https://doi.org/10.4000/economierurale.366.

Mathis, D. 2016. Anciens et nouveaux terroirs d’étangs en Lorraine. Revue Géographique de l’Est, vol.56 / n°1-2 | 2016 ». Revue Géographique de l’Est, https://journals.openedition.org/rge/5712.

Plantureux S., Pottier E., et Carrère P. 2012. « La prairie permanente : nouveaux enjeux, nouvelles définitions ? » Fourrages, 14.

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Table des illustrations

Titre Figure  : Carte des 6 communautés de communes formant le Pays des Vosges saônoises.
Légende Source : https://www.pays-Vosges-saonoises.fr
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-1.png
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URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-3.png
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Titre Figure  : Répartition des enquêtes 2017-2018 auprès des agriculteurs du plateau des mille étangs
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-4.jpg
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Titre Figure  : Carte des signes de qualité du département de la Haute Saône. Source : Préfecture de Haute Saône - http://www.haute-saone.gouv.fr
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-5.png
Fichier image/png, 278k
Titre Figure  : Part des agriculteurs et salariés agricoles en UTA (Unités de Travail Agricole) dans la population des communes des Vosges saônoises (71)
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-6.png
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Titre Tableau  : Typologie des exploitations agricoles des Vosges Saônoises. Proposition mission universitaire 2017
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Fichier image/png, 75k
Titre Figure  : Modélisation de la filière lait du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-8.png
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Titre Figure  : Modélisation de la filière viande du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-9.png
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Titre Figure  : Modélisation de la filière diversifiée du territoire des Vosges saônoises par la mission universitaire 2017
URL http://journals.openedition.org/rge/docannexe/image/9910/img-10.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvain Plantureux et Yves Le Roux, « Quel avenir pour l’agriculture des Vosges saônoises ? »Revue Géographique de l'Est [En ligne], vol. 60/1-2 | 2020, mis en ligne le 10 mai 2022, consulté le 25 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/rge/9910 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rge.9910

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Auteurs

Sylvain Plantureux

Université de Lorraine, INRAE, LAE, F-54000 Nancy, France

Yves Le Roux

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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