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La démotorisation des ménages, nouvel horizon des politiques urbaines ? Analyse croisée de trois métropoles françaises

Is households' demotorization the new horizon for urban policies? A cross analysis of three French cities
Mariane Thébert et Anne Jégou

Résumés

La démotorisation, c’est-à-dire l’abandon par les ménages d’un ou plusieurs véhicules particuliers, est-elle un nouveau mot d’ordre des politiques locales de mobilité ? Cet article présente les résultats d’une enquête qualitative conduite de 2018 à 2020 auprès de 22 acteurs locaux, à Paris, Lyon et Dijon. Le terme s’est diffusé dans les années 2000 pour devenir un objet d’attention politique dans la deuxième moitié des années 2010. Accompagnant une dynamique sociale minoritaire constatée principalement dans les villes-centres, il a franchi plusieurs des étapes du processus d’inscription sur les agendas politiques locaux. A Paris la volonté de démotorisation est désormais assumée et à Lyon la démotorisation est passée de prudente à explicite : devenue marqueur de projet politique local, la démotorisation s’introduit dans les politiques d’urbanisme et fait évoluer le métier des opérateurs urbains (aménageurs et gestionnaires du stationnement). Dijon pourrait poursuivre une autre trajectoire politique.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Le terme apparaît en 2022 dans les publications de l’Apur qui parlent auparavant de « baisse de la (...)
  • 2 Le repérage de ses apparitions entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2023 grâce à l’outil Talkwal (...)

1« Assumons un peu le choix de ne pas faire de places [de stationnement privatif]. On pense que ce n’est pas débile. » Recueillie en 2019, cette parole d’un aménageur francilien illustre l’un des aspects concrets à travers lesquels se matérialise un enjeu émergent des politiques locales de mobilité : la réduction du parc automobile des résidents. Lui fait écho la publication récente des comptes tenus par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), qui met en avant un chiffre : - 35 000 véhicules légers sur le territoire de la métropole entre 2021 et 2022 [Apur, 2023]. Si ce constat d’une tendance à la baisse de la motorisation n’est pas neuf [Apur, 2003], le phénomène est ici désigné sous un nom qui l’est beaucoup plus : démotorisation1. Le terme reste rare dans la littérature scientifique [Aguilera et Cacciari, 2021]. Mais il connaît depuis quelques années un usage régulièrement croissant dans la littérature grise francophone disponible en ligne2. Que signifie la récente fortune de ce mot pour qui veut analyser les formes contemporaines des politiques de mobilité, dont la dynamique d’évolution lie étroitement catégories conceptuelles, enjeux opérationnels et choix politiques ? Signifie-t-elle qu’il existe désormais des politiques publiques visant à démotoriser les ménages ?

2Cet article se propose d’explorer cette question, en faisant l’hypothèse que la relative innovation sémantique que constitue l’usage de ce terme traduit plusieurs changements constitutifs du processus que les sciences politiques désignent sous le nom de mise à l’agenda politique [Hassenteufel, 2021]. Ces différentes « opérations », sans s’enchaîner de façon séquentielle, peuvent être décomposées : identification et désignation d’une situation, constitution d’un « problème public » appelant une prise en charge collective, transformation en objectif politique orientant la définition de mesures, puis traduction opérationnelle. C’est ainsi qu’un « problème qui réussit » devient objet de politique publique [Neveu, 2017].

3Le projet de recherche Motifs de Démotorisation dans les grandes aires urbaines (ANR MoDe, 2018-2020) a étudié les manifestations de la notion de démotorisation dans le champ des pratiques des ménages et de l’action publique. Les résultats présentés ici sont issus du second volet et notamment de l’exploitation de 22 entretiens semi-directifs auprès d’acteurs locaux dans trois métropoles : Paris, Lyon et Dijon. Le premier volet a mis en évidence l’existence, à côté des facteurs subis, d’une démotorisation « choisie », ainsi que le caractère très minoritaire mais croissant du phénomène. Le renoncement à la possession d’une voiture est alors l’étape ultime d’une trajectoire qui consiste d’abord à démotoriser son programme d’activités quotidien [Aguilera et al., 2021]. Ce phénomène est-il relayé par les politiques publiques ? Dans ce domaine aussi, les efforts pour limiter l’usage de la voiture en ville conduisent-ils vers un objectif de démotorisation, atteignant les ménages après l’espace public ?

4Dans un premier temps, nous étudierons le développement d’un discours autour de la démotorisation, en retraçant le glissement qui substitue cet objet à celui de l’équipement automobile des ménages. L’existence de ce discours manifeste l’opération de transformation d’un fait social (peu importe son ampleur) en objet de préoccupation, débattu dans des arènes publiques (même restreintes) [Neveu, 2017]. Il permet aussi d’apprécier les connaissances et croyances relatives à cette question, ingrédients essentiels de l’élaboration des politiques publiques [Jobert et Muller, 1987]. La reconstitution du cheminement qui conduit à penser en termes de démotorisation permet d’interroger ce que vient consacrer l’emploi de ce mot au double plan conceptuel et opérationnel : une reformulation problématique et le renouvellement des enjeux d’action publique. L’évolution de ces « manières de voir » [Gallez, 2015] qui président à l’intervention publique dessine une trajectoire partagée par les grandes agglomérations européennes [Debrie et al., 2020 ; Tortosa, 2023], au bout de laquelle nous situons la formulation d’enjeux spécifiquement associés à la démotorisation. Elle constitue un cadrage général des politiques locales étudiées ensuite.

5En deuxième et troisième parties, nous nous demanderons si la démotorisation est bien un problème qui a réussi [Neveu, 2017], c’est-à-dire non seulement débattu dans des arènes d’échelle variable mais aussi concrètement repérable dans le contenu des politiques locales. L’exploitation des entretiens montre des situations contrastées. Dans leur discours, les acteurs ont rattaché à la démotorisation des actions très diverses. Le cadrage élaboré en première partie permet de lire ce panel varié de mesures en les rattachant aux différentes familles d’enjeux d’action publique, pour apprécier la situation des terrains sur la trajectoire prenant la démotorisation comme horizon (deuxième partie). Leur mise en regard dégage des éléments communs ou divergents, qui dessinent des points de passage, des « voies » par lesquelles la démotorisation parvient jusqu’à l’agenda institutionnel local, ainsi que les obstacles et limites de cette progression (troisième partie).

6En conclusion, nous discuterons de la solidité du concept de politique publique de démotorisation et de la différenciation des trajectoires locales.

1. Manières de voir. De quoi “démotorisation” est-il le nom ?

7Nous retraçons ici l’apparition de la notion de démotorisation dans les champs en évolution conjointe de la connaissance scientifique et opérationnelle, et de l’action publique. Ce cheminement a été saisi à travers un bref état de l’art scientifique (1.1) et une analyse du travail de problématisation et appropriation du mot effectué par les chercheurs et les acteurs enquêtés dans le cadre du projet MoDe (1.2). Il est finalement restitué sous la forme d’un historique synthétique des modes dominants de questionnement de l’automobilité et de son traitement (1.3). Cette énonciation de grandes familles d’enjeux présentées ici comme se succédant les unes aux autres est très schématique. Mais elle montre les éléments de continuité et de rupture qui les unissent, offrant pour la suite une grille de lecture des politiques locales dans lesquelles elles cohabitent.

1.1 Évolution terminologique, recadrage problématique

8Avant les années 2000, c’est aux phénomènes de motorisation ou de non-motorisation, aux facteurs explicatifs de leur niveau respectif et à l’impact sur le choix modal que s’intéressent les spécialistes du transport et du trafic, des champs disciplinaires fortement mobilisés dans la fabrique des politiques publiques. L’expansion puis l’hypothèse d’un recul de la motorisation dans certains pays sont étudiées à l’échelle nationale ou à celles de certaines catégories de population. Sont ainsi identifiés des segments « sous-équipés » et les motifs (financiers, physiques, sociologiques) de ce sous-équipement. Les non motorisés sont envisagés comme une catégorie homogène et « moins disante », provisoirement ou structurellement (faibles ressources, vieillissement, perte d’emploi, départ d’un enfant, divorce) [Korsu et al., 2021]. Les phénomènes de « rattrapage » (chez les femmes ou les plus de 75 ans par exemple) captent également l’attention. La norme implicite est celle de l’équipement quasi-généralisé des ménages. Cette perspective de croissance asymptotique oriente la connaissance et l’action publique. En vertu de cet horizon, le « tout-automobile » refaçonne les espaces urbains et les principes d’aménagement, jusqu’à sa remise en cause au vu des impasses urbanistiques, sociales et environnementales de cette stratégie [Héran, 2020].

9Les restrictions automobiles s’inscrivent alors dans le panel des instruments politiques déployés au service de la mise en œuvre d’une mobilité durable, puis de la « transition mobilitaire » [Temenos et al., 2017]. Le traitement de cette « question automobile » constitue une vaste famille de mesures qui privilégient le report modal aux restrictions [Debrie et al., 2022]. Les actions portant directement sur la motorisation des ménages y sont peu structurées et structurantes. Mais la remise en question politique de la domination du mode automobile sur ses alternatives renouvelle le champ des préoccupations scientifiques et de l’expertise. Au tournant des années 2010, l’attention aux signaux faibles du changement augmente : pratiques émergentes d’altermobilité [Vincent-Geslin, 2012] mais aussi variations du niveau d’équipement automobile observables chez certains ménages sont analysées à cette échelle et de façon longitudinale, afin d’en comprendre les ressorts. Outre les facteurs individuels, l’évolution à la baisse est associée à un changement de génération, à l’expansion servicielle liée au numérique ou aux réorientations des politiques publiques. Même quand elles sont à la baisse, ces variations sont rarement désignées par le terme de démotorisation. Les recherches s’accordent de toute façon sur la très faible ampleur du phénomène [Cacciari & Belton, 2020], aspect mineur de l’évolution des pratiques. Mais en envisageant ces variations comme une réponse stratégique des ménages à un ensemble de contraintes mais aussi d’aspirations [Korsu et al., 2021], elles ouvrent la voie à la transformation d’une situation en opportunité d’action publique, voire à une transformation du problème en solution.

10De fait, le terme fait sur internet quelques sorties hors de la sphère scientifique, porté par les gestionnaires des très grandes villes françaises mais aussi suisses et québécoises. Il atteint les réseaux sociaux (Twitter) dans des post plus politiques et controversés que ceux associés à « non motorisation » (tournés vers la méthodologie d’enquête) et « motorisation » (tournés vers l’objet véhicule). L’emploi de « démotorisation » signale une re-problématisation du fait social (certains individus ne possèdent pas de véhicule) et sa « publicisation » en des termes renouvelés [Hassenteufel, 2021] : la non motorisation, indicateur à l’instant t d’un état éventuellement résiduel, sert à nourrir des modèles de trafic ; la démotorisation, dynamique ardue à cerner avec l’outillage traditionnel des enquêtes, est un nouveau défi en matière de connaissance mais est aussi susceptible de motiver une intention politique. Autour de ce « mot-valise » [Callon, 1986], qui peut recouvrir des acceptions différentes, se prennent des positions et se forgent des controverses.

1.2 La démotorisation est-elle un sujet pour les praticiens de l’urbain ?

11Dans le dialogue acteurs/chercheuses, le mot reste délicat à définir et employer. Les subtilités de son usage permettent d’évaluer si la démotorisation constitue une catégorie réflexive et une notion opératoire pour l’action publique.

Méthodologie d’une rencontre entre chercheurs et acteurs autour d’un mot à définir

12Comment définir la démotorisation ? L’ANR MoDe se réfère à une dynamique inverse à la motorisation : « réduction du nombre de voitures possédées par les ménages ». La grande majorité des ménages qui se démotorisent ont de fait tendance à conserver au moins un véhicule [Korsu et al., 2021]. Initiée par Dargay et al. [2003], la distinction entre démotorisation partielle (qui maintient au moins une voiture dans le ménage) et totale (aboutissant à une absence de véhicule) n’est qu’une des dissections nécessaires pour appréhender un phénomène dont les analyses longitudinales montrent la multitude de facettes. La démotorisation à l’échelle d’une cohorte peut cacher une motorisation différée, être transitoire à l’échelle d’un ménage, ou être suffisamment longue et totale pour être assimilée à de la non-motorisation. Le lien avec d’autres indicateurs, comme la diminution des distances parcourues en voiture par un individu [Drut, 2022], doit aussi être interrogé : la diminution précède-t-elle le renoncement à la possession, celui-ci correspond-il à une nouvelle réduction ou l’usage d’un véhicule motorisé se perpétue-t-il par d’autres moyens ? Le lien avec le dévoiturage, soit la limitation de la présence de la voiture dans l’espace public [Delfeuil et al., 2017], est également ambivalent. L’opposition entre démotorisation subie (dictée par des événements familiaux et/ou la situation financière) et choisie (concernant des ménages que leur mode de vie dispense d’avoir un véhicule) est aussi délicate. Les difficultés de collecte de données ciblées sur les ménages et suivies sur une période longue paramètrent la réflexion. Ces interrogations méthodologiques et épistémologiques se posent aussi aux acteurs locaux.

  • 3 Sur ce thème encore peu banalisé, les enquêtés ont repéré et désigné dans leur environnement local (...)

13Nos enquêtés ont été sélectionnés pour leur propension à aborder le sujet de la démotorisation à partir de leur exercice professionnel, soit a priori, soit sur recommandation d’autres enquêtés3. Ils sont pour la plupart chargés de mission dans le domaine des mobilités ou de l’aménagement urbain, sinon directeurs (4) ou élus (2), et relevant d’organismes variés (agence d’urbanisme, bureau d’études commune, métropole, Région, DREAL, syndicat des transports, pôle métropolitain, sociétés d’autopartage ou d’aménagement) (Tab. 1).

Tableau 1. Répartition des enquêtés selon les terrains et l’organisme d’appartenance

 

Paris

Lyon

Dijon 

Total

Commune/intercommunalité

4

4

2

10

AOM

 

1

 

1

Etat (DREAL)

 

 

1

1

Région

3

 

1

4

Entreprises/SEM/coopérative

1

2

1

4

Agence d’urbanisme

1

1

/

2

Total

9

8

5

22

  • 4 Elles-mêmes non-motorisées.

14L’enquête a été conduite entre février 2018 et avril 2020 par les deux autrices de l’article4. Les entretiens d’une durée de 1 à 2 heures ont été réalisés en face-à-face, enregistrés et transcrits. La méthode est celle de l’entretien compréhensif [Kaufmann, 2016], mais relativement dirigé. L’enquête a été complétée par une analyse des documents supports et produits de l’élaboration des politiques publiques.

15La difficulté de l’enquête consistait à questionner un objet qui n’était peut-être un objet d’études que pour les chercheurs de l’ANR. Le choix a été fait de le définir succinctement dès la prise de contact : « Ce travail s'intéresse aux conditions et conséquences du renoncement de certains ménages à la possession d'un ou plusieurs véhicules individuels, et aux enjeux afférents en termes de politiques territoriales. » Mais précaution était prise de rassurer les enquêtés qui trouveraient l’entrée trop restreinte en élargissant le thème de l’échange à « la place de la voiture en ville ». Des refus ont cependant été opposés par des techniciens en charge de l’urbanisme et des élus. Dans la grille d’entretien, la confrontation explicite avec le terme n’arrive qu’en dernière partie : « Le mot est-il déjà employé dans votre organisme ? L’avez-vous entendu ailleurs ? ». Il est ensuite demandé aux enquêtés d’estimer la faisabilité de démotorisation sur leur territoire (échelle de 1 à 10), d’associer 5 mots à la démotorisation (Fig. 1) et d’imaginer un scénario de démotorisation massive sur leur territoire : « 40 % de démotorisés [80 % à Paris] sur votre territoire, ça se passe comment ? ».

Un terme connu et manipulé avec circonspection

16L’objet de l’enquête a motivé variablement les acteurs pressentis : certains s’en sont emparés dès le début de l’entretien comme un vrai sujet pour eux, qu’il ait été soulevé par les élus ou qu’ils s’en soient autosaisis. Certains se déclarent impliqués personnellement, notamment s’ils sont cyclistes. D’autres ont préféré aborder le « bouquet » d’alternatives à l’automobile, rejetant démotorisation et dévoiturage comme entrées. Néanmoins, l’amalgame est fréquent chez les acteurs entre démotorisation, dévoiturage, voire démobilité. Si le terme est reçu d’emblée comme compréhensible, la définition inscrite dans un champ sémantique vaste reste multiforme au cours d’un même entretien. Sous ses divers avatars, la démotorisation fonctionne comme un objectif tacite, légitimant de nombreuses facettes de l’activité des acteurs. Mais la plupart l’utilisent peu au quotidien, le réservant à certaines sphères spécialisées, voire l’excluent.

« Est-ce qu’on l’utilise tous les jours [le concept] ? Non, pas vraiment. Mais quand on fait [telle ou telle action], on sait qu’on encourage la… pas la démotorisation du ménage (…) mais la démotorisation de certains trajets, donc il y aussi ça : il y a la démotorisation des foyers et il y a la baisse de la part modale de la voiture. » (Lyon-2, SEM, technicien)

« Nous, on utilise le terme de démobilité. Mais démotorisation, non. (…) Mais c’est un objectif sous-jacent des politiques. » (Lyon-5, Métropole, technicien)

17Les valeurs associées (positives ou négatives) sont aussi assez diverses. Certains acteurs associent la démotorisation à la perte totale d’accessibilité automobile, appelant une intervention publique compensatrice. C’est le cas à Dijon, où elle est particulièrement redoutée en milieu rural, la banlieue bénéficiant du transport collectif. Tous les acteurs ont évoqué les inégalités sociales et spatiales croisées de la démotorisation. Parmi elles, le genre constitue un angle mort.

18Les modalités de collecte des données ne permettent pas de lever le voile sur un processus mal maîtrisé. « Dans l’enquête ménages, on ne posait pas ce genre de questions, on ne demandait pas aux gens les motifs de la séparation d’un véhicule. » (Lyon-3, AO, technicien) A Lyon, où la baisse du taux de motorisation métropolitain est considérée avec scepticisme par les élus périphériques et un certain enthousiasme par les élus centraux, les services techniques et l’agence d’urbanisme se sont donné une mission d’objectivation du phénomène, concluant à sa nécessaire relativisation.

« Donc, voilà, j'ai travaillé dessus, (…) j’ai beaucoup de chiffres, j'en ai tiré une conclusion. (…) c’était de dire, le facteur prépondérant de la baisse de la motorisation, ce n'est pas le comportement en tant que tel des citoyens qui change, c'est que globalement, on a un changement de structure de la population qui explique. » (Lyon-1, Métropole, technicien)

19La notion de démotorisation est pour la plupart des praticiens un enjeu de connaissance, nécessitant des études locales et récentes pour « border » le phénomène (qui, dans quels espaces, sous quelles formes ?) mais aussi le discours des élus. Même à Paris, où le phénomène fait l’objet d’un suivi pluriannuel, les connaissances restent hypothétiques sur ses tenants comme ses aboutissants (souvent réduits au dévoiturage). Démotorisations partielle et totale sont traitées comme un tout. Lors de l’enquête, les acteurs travaillaient de façon isolée sur ces sujets.

« Ce n’est pas des sujets abordés très régulièrement. » (Lyon-3, AO, technicien)

20La démotorisation constitue donc un sujet pour les praticiens de l’urbain. Mais certains accordent la préférence à d’autres indicateurs. A Lyon, on constate que la non motorisation, localisée dans les quartiers « politique de la ville », est plus simple à expliquer, si ce n’est à traiter. Complexe à identifier, avec des implications sociales mal maîtrisées, la démotorisation suscite des méfiances quant à son éventuelle « carrière » dans les politiques locales.

Figure 1. Nuage de mots : « Pouvez-vous associer 5 mots à la notion de démotorisation ? »

Figure 1. Nuage de mots : « Pouvez-vous associer 5 mots à la notion de démotorisation ? »

21En termes d’actions, la démotorisation s’avère difficile à isoler au sein d’une foule d’intentions et mesures différenciées. Concrètement, les acteurs interrogés passent une grande partie de l’entretien à discuter d’actions destinées à apporter de la souplesse aux ménages dans leurs choix modaux. Certains évoquent les mesures plus coercitives qui soutiennent le dévoiturage volontariste. Les plus à l’aise avec la notion de démotorisation ont une vision plus claire de la façon dont ces actions peuvent être catégorisées et de leur efficacité relative (Tab. 2). Certaines sont particulièrement discutées du fait de leur caractère relativement expérimental et de leur retour sur investissement questionnable, comme celles portant sur le covoiturage (plateforme, aides, voies dédiées). Les mesures soutenues par les acteurs enquêtés comme étant plus susceptibles d’être efficaces apparaissent en gras.

Tableau 2. Un panel varié de mesures rattachées à la démotorisation

Lutte contre l’autosolisme

Autopartage

Service de location en boucle

Service de location free floating

Contrat de voiture partagée

Utilisation du parc d’autopartage par les collectivités

Covoiturage

Plateformes de mise en relation

Voies dédiées sur les autoroutes

Réseau avec stations de covoiturage

Spontané/organisé/dynamique

Dévoituration

Stationnement

Réduction au domicile (places, vignette)

Réduction sur le lieu de travail (places)

Parking-relais

Urbanisme

Piétonisation

Réduction du nombre de voies voiture (bus, vélo)

Valorisation d’autres modes de transports

Transports en commun

Augmentation de la capacité

Augmentation de la desserte et de la fréquence

Intermodalité

TAD

Vélo

Augmentation et amélioration du réseau cyclable

Service de location courte ou longue durée

Stationnement

Aide financière à l’acquisition de vélo électrique

Réorganisation sociétale

Entreprises

Télétravail

Lissage des heures de pointe

PDIE/PDM

22Enfin, les enquêtés les plus familiers de la notion sont ceux dont la mission porte sur le stationnement ou est conçue en dépassement des cloisonnements traditionnels entre services (climat, environnement) : eux considèrent la démotorisation comme un pari politique « suicidaire » mais nécessaire, un objectif poursuivi largement à l’aveugle et dans « les larmes et la sueur » (Lyon-1, Métropole, technicien) mais qui vaut les mesures coercitives qu’il appelle.

1.3 Naissance et filiation d’un enjeu d’action publique

23Nous retraçons ici l’évolution qui conduit de la formulation explicite d’un enjeu de dévoituration du cadre de vie à celui de la décarbonation des mobilités puis de la démotorisation des ménages.

24A partir des années 1980, certaines autorités urbaines, fortes de leurs nouvelles compétences décentralisées, affirment leur projet de limiter la présence de la voiture dans leur centre. La préoccupation première est de revaloriser des centralités dont l’attractivité est menacée par la croissance des périphéries. L’adaptation à l’automobile n'apparaît plus comme la voie univoque du salut. Le principe du trafic induit, documenté depuis les années 1960 [Commenges, 2013], relativise l’intérêt de réaliser de nouvelles infrastructures pour l’absorber dans les zones denses. Limiter la présence de la voiture ne signifie pas pour autant dissuader les gens d’utiliser leur voiture pour se rendre en cœur de ville, la question de l’accessibilité de celui-ci étant trop cruciale. Il s’agit de les inciter à stationner dans des parkings en ouvrage, pour limiter l’invasion de l’espace public central et en rendre plus agréable la fréquentation. Limiter le stationnement sur voirie permet aussi de prioriser la fonction circulatoire sur celle de l’arrêt et d’optimiser les capacités viaires existantes, stratégie qui prime désormais sur leur augmentation (et que sert également le développement des technologies de gestion automatisée des flux). Limiter la voiture dans le paysage sert donc aussi à dégager la voie pour un trafic fluide, comme l’illustre la création des « axes rouges » parisiens en 1990, véritable plan « anti-bouchons » fondé sur l’interdiction du stationnement et dont le slogan est « Paris veut rouler, on va tous l’aider ! » [Lamboley et James, 1991]. L’action sur les infrastructures automobiles consiste encore à en produire : en équipant les centres villes de grandes capacités de stationnement en ouvrage, les politiques publiques génèrent des flux radiaux auxquels elles vont rapidement devoir s’attaquer.

25Dans les années 1990, l’objectif de réduction des flux internes ou convergeant vers les centralités devient incontournable dans les très grandes agglomérations. La stratégie privilégiée est celle du report modal vers l’offre de transport collectif, au développement de laquelle va désormais être consacrée une partie plus importante des investissements [Lefèvre et Offner, 1990]. Au plan national, les incitations au renouvellement du parc automobile afin d’évoluer vers des motorisations plus propres, compatibles avec l’objectif industriel de ventes de voitures, se multiplient. Au plan local, il n’est pas encore question de mettre des barrières à la possession par les ménages d’un véhicule privatif, ce qui serait prendre le risque de pousser vers les périphéries certaines catégories de population, comme les familles et les hauts revenus. Il faut parvenir à ce que les ménages disposent d’une voiture tout en l’utilisant le moins possible, de façon circonstanciée et pour certains motifs. On assiste à la généralisation dans les centres villes de politiques de gestion du stationnement qui visent à décourager l’usage de la voiture pour le motif travail, à accélérer la rotation des visiteurs qui consomment et à libérer l’offre pour les résidents [Perrin, 2019]. Là aussi l’objectif d’attractivité domine la question environnementale [Claux, 2016].

  • 5 La stratégie politique vis-à-vis du vélo suit une tendance inverse, l’offre en libre-service perdan (...)

26A court terme, les actions qui consistent à agir sur les pratiques via l’offre alternative et l’orientation de la demande présentent des rendements faibles ou différés si ces mesures persuasives ne sont pas accompagnées de mesures coercitives réduisant l’avantage compétitif du véhicule particulier [Dupuy, 1999 ; Offner, 2020]. Sans nécessairement remettre en cause leur intérêt, divers analystes soulignent l’impact modéré et localisé qu’ont eu sur le report modal les inaugurations multiples de tramways [Orfeuil, 1999 ; Beaucire et Lebreton, 2000]. D’autres études quantitatives mettent en exergue la variable la plus agissante sur l’usage du véhicule particulier : être ou ne pas être motorisé [Bonnel et Cabanne, 2000 ; Focas et Christidis, 2017]. La possession est un facteur d’usage de premier ordre. Le plus sûr moyen de raréfier l’usage de l’automobile est de faire en sorte que les ménages n’en possèdent pas. Cette conclusion se fraye un chemin dans l’action publique au cours des années 2000 avec le développement des « nouvelles offres de mobilité » reposant sur l’économie de la fonctionnalité. Dans les politiques publiques, l’opportunité du découplage entre possession et usage prend un sens stratégique nouveau et inverse du précédent : au lieu de favoriser la possession en espérant pouvoir rationaliser l’usage, il est envisageable de favoriser un usage qui n’impose pas de possession et encourage le renoncement à la voiture5.

27Au cours de la même décennie, le cadrage problématique dominant des atteintes environnementales liées à l’activité humaine connaît un élargissement : à l’impact localisé des pollutions s’ajoute celui du changement climatique global sous l’effet des émissions de gaz à effet de serre (GES). Une nouvelle étape est franchie dans la perception des nuisances associées à l’automobile : leur étendue excède le strict temps de l’usage et les émissions de polluants associées. Qu’elle soit en mouvement ou à l’arrêt, visible sur l’espace public ou cachée en souterrain, la voiture consomme espace et énergie, et émet des GES, pour sa fabrication, son remisage, sa dégradation. Ces considérations interpellent la puissance publique et sont explicitement associées à la notion de démotorisation par certains de nos enquêtés.

« Je trouve que la démotorisation, c’est à la fois la voiture qui roule et la voiture qui stationne, et on dit qu’elle reste stationnée plus de 90 % du temps. » (Paris-6, Ville, technicien)

  • 6 Un graphique de ce type a été présenté par une intervenante de la Ville de Paris lors de la table-r (...)
  • 7 Les bureaux d’étude (SARECO, Mobil’homme…) contribuent à diffuser des ratios de 2 voire 3 places de (...)

28Pour agir, l’action publique peut s’appuyer sur des bilans environnementaux complets, qui évaluent pour chaque mode l’empreinte carbone liée à son usage mais aussi à la production du véhicule et à celle des infrastructures nécessaires à son utilisation6. En rendant visibles les nuisances incorporées à l’objet, le développement méthodologique de l’Analyse de Cycle de Vie donne un poids neuf à l’objection que les urbanistes opposent depuis longtemps à la voiture en ville : sa consommation excessive d’un foncier rare dans des zones centrales revalorisées. Dans la littérature grise ou spécialisée se formulent à la fin des années 2010 des éléments de raisonnement qui se retrouvent dans le discours des acteurs et soulignent la surabondance d’espace consacré au stationnement automobile7. Par ailleurs, sa gratuité ou faible tarification, critiquées depuis longtemps par l’analyse économique, acquièrent le statut de véritables aberrations économiques mais aussi sociales : le stationnement gratuit est coûteux pour la collectivité et pour les ménages, qu’ils soient motorisés ou non. La problématisation scientifique est désormais celle de l’injustice [Shoup, 2005 ; Henderson, 2009], et la critique s’étend au stationnement privatif [Shoup et Grisot, 2020], qui renchérit le coût des logements dans des proportions particulièrement importantes pour les habitations les moins chères et les plus petites. Cette analyse influence parfois la décision publique : en 2006, sur la base de cet argumentaire, le « 1 place par logement » est remplacé par des normes calées sur la surface dans le Plan Local d’Urbanisme parisien (Paris-8, agence d'urbanisme, technicien).

  • 8 Dès 2005, l’Apur publie ses « réflexions pour une politique globale du stationnement dans Paris » ((...)

29Sous-jacente à ces considérations, une autre évolution du référentiel est fondamentale : l’approche du fonctionnement urbain se fait systémique. Elle est sensible dans le regard des acteurs opérationnels sur la gestion du stationnement : les différents segments de l’offre (sur voirie, en ouvrage, privatif, eux-mêmes composés de sous-catégories) ne sont plus considérés comme des vases communicants entre lesquels répartir un parc automobile constant, mais comme un ensemble qui fait système de façon complexe8. Le défaut de maîtrise d’un segment compromet la gestion des autres, ce qui motive parfois des Délégations de Service Public (DSP) élargies (cf. 2.4). Cette prise de conscience d’un fonctionnement systémique concerne l’ensemble du système de mobilité et de l’agencement urbain. Les interactions entre formes urbaines et pratiques de mobilité sont théorisées depuis une trentaine d’années par les spécialistes [Newman, 1996 ; Mangin & Panerai, 1999 ; Wiel, 1999]. Dans les agences d’urbanisme, nos enquêtés se disent sensibilisés aux interactions urbanisme-transport. Cette coproduction ville-mobilité remet en cause la capacité publique de régulation des impacts territoriaux de long terme de l’automobilité, voire de la mobilité en général. A Lyon, les restructurations spatiales sont aussi mises en relation avec la politique d’amélioration de l’offre ferroviaire (programme Réseau Express de l’Aire métropolitaine Lyonnaise).

« Déjà en 2005, on commençait à sentir cette question de la périurbanisation qui se traduisait concrètement dans l'explosion de la fréquentation de certaines gares situées sur les franges. » (Lyon 4, agence d'urbanisme, technicien)

30Dès lors, démobilité et proximité apparaissent comme des voies de maîtrise et s’invitent dans le discours sur la démotorisation.

« Il y a [un chercheur] qui a travaillé sur ces trois scénarios, l'hypermobilité, l’altermobilité et la proximobilité (...) et le seul qui atteint les objectifs de réduction de CO2, c’est le dernier, c’est-à-dire (...) c'est tout à proximité, là, on est à 60 % de démotorisation possible. (...) Je n’y crois pas, moi, en la voiture autonome, donc je préfère [au scénario hyper technologique] celui de la proximobilité.” (Lyon-1, Métropole, technicien)

31Dans cette approche systémique, la réduction des besoins de mobilité implique une reformulation du modèle de ville, qu’incarne la « ville du quart d’heure » [Moreno, 2016] prise en référence par la municipalité parisienne à partir de 2020. L’enjeu est désormais, pour paraphraser la publicité d’un constructeur automobile, d’« inventer la ville qui va avec » le renoncement à la voiture.

2. La démotorisation dans les politiques locales. État des lieux sur les trois terrains

32Après avoir retracé le parcours de la notion de démotorisation dans les champs de la connaissance scientifique et opérationnelle, nous examinons comment cette prise en considération affecte concrètement les politiques locales sur nos terrains. Nous ferons d’abord un état des lieux de chaque terrain pour évaluer l’actualité de la préoccupation et sa prise en charge politique, avant de voir en dernière partie les voies concrètes par lesquelles la démotorisation s’inscrit sur les agendas politiques locaux.

2.1 Une mise en regard de trois métropoles d’échelle différente

33Nos terrains sont des métropoles au sens institutionnel mais notre enquête a porté sur plusieurs échelons politico-administratifs. En termes géographiques, ces ensembles urbains sont de taille très dissemblable : l’aire d’attraction autour de Paris compte 13 millions d’habitants, celle de Lyon, 2,3 millions, et celle de Dijon, 414 000 (Insee, 2020). Ils ont en commun chacun à son échelle une dynamique métropolitaine associant densification et étalement (voir densités, Tab. 4), et une structure spatiale radioconcentrique relativement compacte et dominée par la polarité centrale [Le Néchet & Aguiléra, 2012]. Cette configuration offre des opportunités en matière de desserte collective qui ont été saisies sur nos trois terrains (Tab. 3), mais expose aussi à des risques de congestion.

34Avec près de 257 000 habitants en 2020 sur le territoire de la métropole, Dijon est une agglomération de taille moyenne ramassée autour de sa ville-centre qui en concentre quasiment les deux-tiers (62 %). L’intégration urbanisme-transport y est ancienne [Broomberg, 2004], et la mise en place de deux lignes de tramway en 2011-2012, notable pour une ville de cette taille, assure une part modale très honorable au transport collectif à l’échelle de l’agglomération (Tab. 3). Mais ces lignes radiales sont aujourd’hui saturées et la politique de mobilité échoue nettement à contenir la part modale de la voiture dans la ville centre (Adetec, 2021). C’est l’ouverture en 2014 de la boucle périphérique LINO qui répond aux besoins de déplacement en rocade. Du fait d’une congestion peu importante relativement aux deux autres terrains, la pénibilité des déplacements automobiles est peu ressentie par les habitants des périphéries et ne motive pas de report modal contrairement au cas francilien ; en revanche, la pratique du covoiturage est plus importante que chez les périurbains franciliens, signe possible d’une sensibilité plus importante au coût (Motte-Baumvol et al., 2012).

35Lyon est une agglomération millionnaire (1,6 millions d’habitants dans le périmètre de la métropole) et un pôle d’emploi vers lequel convergent des flux massifs [Aguiléra & Mignot, 2007]. Son réseau de transport collectif (quatre lignes de métro mises en service entre 1971 et 1996 et de nombreuses lignes de tramway déployées à partir des années 2000) assure un niveau d’offre et un partage modal [Tab. 3] qui la placent largement en tête du palmarès des agglomérations françaises hors Ile-de-France (Adetec, 2021). Sur le territoire de la métropole, la motorisation des ménages et la part modale de la voiture diminuent au cours de la décennie 2010. Mais ces tendances s’inversent sur les territoires environnants où la voiture assure des déplacements de plus en plus longs [Urbalyon, 2019]. Pour attirer l’attention des décideurs sur cette situation, les techniciens locaux mettent en avant l’indicateur, moins satisfaisant, des parts modales kilométriques et les comptages de flux entrants (Lyon-4, agence d'urbanisme, technicien). L’acheminement des actifs en provenance de l’extérieur sature en effet les réseaux routier et ferroviaire ainsi que les parcs relais. Face à cette problématique, la culture locale de l’innovation urbaine qui caractérise ce terrain [Guéranger & Jouve, 2004] s’exprime dans le partenariat avec les employeurs et l’ouverture des données de mobilité, mais échoue à surmonter la partition qui oppose les administrations en charge du trafic routier et des transports collectifs [Courmont, 2018].

36Le territoire institutionnel de la métropole parisienne (Paris et les trois départements de la petite couronne) concentre aussi la majeure partie des emplois et de la population (7 millions d’habitants en 2020) au cœur d’un périmètre fonctionnel qui est lui d’échelle régionale. Organisée à cette échelle par l’AOM, l’offre de transport collectif intégrée assure 43 % des migrations alternantes (Insee, 2017), mais est peu efficace pour les déplacements au sein de la périphérie qui sont en croissance, problématique à laquelle cherche à répondre le projet de 200 km de métro du Grand Paris Express et ses barreaux de rocades. Si le nombre de kilomètres réalisés en voiture diminue depuis le tournant des années 2000 à Paris et dans la petite couronne, les distances des trajets automobiles continuent d’augmenter en grande couronne [Debrie et al., 2020]. La congestion automobile en heure de pointe reste très importante sur les rocades autoroutières et les tronçons radiaux les plus périphériques. Sur ce créneau d’action se positionne la Région qui entend « remettre la route au cœur du système de transport francilien9 » en fluidifiant le réseau et développant les mobilités automobiles partagées, électriques et autonomes (cf. 2.2). On retrouve ici en partie le cloisonnement lyonnais entre gestion du trafic routier et gestion des transports collectifs, l’AOM francilienne étant institutionnellement très liée à la Région10 mais administrativement distincte. Mais c’est surtout l’opposition politique entre la Ville de Paris et l’exécutif régional qui complique la gouvernance francilienne des mobilités.

Tableau 3. Parts modales dans les 3 villes-centres et les 3 intercommunalités (enquêtes déplacement - CEREMA)

 

Voiture individuelle

TC

Modes actifs

Dijon (2016)

48,3%

14,8%

37%

Dijon Métropole (2016)

53,3%

13,2%

33,4%

Lyon (2015)

27,4%

25,6%

47%

Métropole de Lyon (2015)

44,3%

19,6%

34,3%

Paris (2018)

6,7%

31,6%

59%

Métropole du Grand Paris (2018)

20%

27,2%

50,8%

37La part des ménages disposant d’au moins une voiture est en légère baisse sur nos trois terrains, plus nettement sur les villes centres de Lyon et Paris. Le tableau 3 montre des situations contrastées entre ville-centre et aire d’attractivité, mais aussi entre les trois terrains. Paris est la commune la moins motorisée de France, avec un tiers de ménages équipés concentrés dans les arrondissements à la fois les plus riches et les moins denses (Insee, 2023).

Tableau 4. Densités et évolution des taux d’équipement et multi-équipement automobile pour les trois villes-centres et les trois Aires d’Attraction des Villes (AAV) (recensement INSEE)

 

Densité
2020
(hab /km²)

Taux d'équipement 2009

Taux d'équipement 2019

2 voitures ou +
2009

2 voitures ou +
2019

Dijon

3 937

72,7%

70,5%

18,7%

17,0%

Dijon métropole

1 070

77,1%

75,7%

24,5%

23,2%

AAV Dijon

106

81,60%

81,4%

33,5%

33,7%

Lyon

10 909

64,9%

60,7%

14,3%

11,9%

Métropole de Lyon

2 654

73,4%

71,3%

23,5%

21,8%

AAV Lyon

498

79,5%

78,6%

32,6%

31,8%

Paris

20 360

40,6%

33,5%

5,2%

4,1%

Métropole Grand Paris

8 703

57,3%

53,4%

12,8%

11,8%

AAV Paris

693

69,0%

67,0%

22,7%

22,4%

38Les trois métropoles présentent donc des politiques de transport structurées et engagées, sans être forcément considérées comme des modèles d’innovation à la différence de Strasbourg et Grenoble par exemple [Paulhiac-Scherrer et al., 2019]. Leurs performances en matière de mobilités cyclables sont mineures [Adetec, 2021]. La décennie 2010 a été marquée par l’expérimentation de nouvelles offres de mobilité en libre-service qui ont pu contribuer à la démotorisation des résidents tout en soulevant des questions relatives à leur bénéfice réel pour la collectivité en termes de réduction des circulations et de consommation d’espace public [Crozet, 2020].

2.2 Paris : la démotorisation assumée

39Dans la ville de Paris, l’objectif de démotorisation est clairement affiché, et intégré par tous les enquêtés. « Dans toutes nos présentations, on dit : pour rappel, objectif démotorisation des ménages, libération de l’espace public. » (Paris-4, Ville, technicien). « On veut des quartiers de plus en plus sans voiture, c'est une volonté politique affirmée (...). On connaît la politique parisienne et on sait que, de manière drastique, on s’oppose à la voiture. » (Paris-5, Ville, technicien) Cet objectif est directement associé à la lutte pour la qualité de l’air. Dès lors, « c’est un discours que les gens [praticiens de l’urbain] entendent » (Paris-5, Ville, technicien).

  • 11 Abonnements transports en commun et vélo en libre-service offerts pendant un an, réduction de 50% d (...)
  • 12 En cela, le PLU se conforme à l’obligation légale de compatibilité avec le PDUIF mais en baisse au (...)

40En 2015, la Ville de Paris, qui n’est pas Autorité organisatrice de la mobilité (AOM), met en place une aide spécifique à la démotorisation des Parisiens11. L’orientation des comportements passe aussi par l’imposition réglementaire : la modification générale du PLU de 2016 plafonne la superficie du stationnement automobile et 2-roues motorisés pour les bureaux12, supprime toute obligation faite aux promoteurs pour les locaux d’habitation et de commerce et définit de contraignantes obligations en matière de stationnement vélo de plain-pied. En termes d’urbanisme opérationnel, certains projets font le pari de la démotorisation : le futur écoquartier Saint Vincent de Paul (14e arrdt) prévoit seulement 60 places de stationnement mutualisé, déporté et enterré pour 600 logements, une unique boucle circulée et une zone de rencontre (Paris-9, SEM, technicien). En cours d’élaboration en 2019, une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) « Climat » devait intégrer explicitement des objectifs de démotorisation.

  • 13 Valables lors des entretiens, ces orientations ont pu être affectées par la crise sanitaire au prof (...)

41Cette politique ferme n’est pas relayée à l’échelle métropolitaine ou régionale. La planification régionale donne depuis les années 1990 priorité aux projets de transports collectifs sur les projets routiers, dans l’objectif d’une « ville pour moins de voiture » (PDUIF 2014). Toutefois le débat des voies sur berges, avec leur fermeture progressive au cours des années 2010, montre un décalage entre les intérêts du centre et des couronnes [Debrie et al., 2020]. Suite au changement de majorité à la tête du conseil régional (2015), le contenu des politiques a été recentré sur le financement des infrastructures -y compris viaires- et leur fluidification (« notre fonds de commerce ») au détriment du lien avec l’aménagement des périphéries promu par la majorité précédente (Paris-10, Région, technicien) : « Plan anti-bouchon » (2017) et promotion des services liés à l’automobilité (covoiturage, développement du véhicule autonome en écho à une politique active de soutien à l’innovation et aux entreprises)13. La Région Ile-de-France refuse tout discours anti voiture au profit d’un discours anti autosolisme ou « voiture autrement » et ne croit pas à l’autopartage (ibid.). La lenteur du développement d’un label par l’AOM régionale était déplorée par les services techniques parisiens lors de l’enquête.

2.3 Lyon : la démotorisation prudente

  • 14 Par exemple, les parkings relais gratuits du Sytral (métro-tram) concurrencent ceux de la région et (...)

42Au plan géographique, le terrain lyonnais suit le schéma de métropolisation avec extension spatiale et densification centrale [Zanetti, 2021]. Institutionnellement, il est caractérisé par une tradition d’intercommunalité à l’apparence de « success story » [Galimberti et al., 2014], qui ne doit pas masquer le fait que l’entente des présidents de la communauté urbaine et du Conseil général à propos de la création de la métropole (2015) ne s’étend guère aux communes périphériques auxquelles elle a été imposée. Pas question dans ce contexte de bousculer le dernier pré-carré municipal qu’est le stationnement, le « chacun chez soi » dans le domaine étant le prix de la « paix politique » (Lyon-2, Métropole, technicien). Le contexte de la gouvernance des mobilités est par ailleurs un « peu compliqué » (ibid.) par la coexistence de deux Autorités organisatrices [Lévêque, 2019]. Le Sytral, qui a compétence sur les transports collectifs et certains parkings relais, est remis en question par la montée en puissance de la Métropole, compétente sur les mobilités et qui entend diversifier l’offre après une ère d’investissements particulièrement importants dans le réseau express de l’agglomération lyonnaise [Fitria et Charmes, 2018]. La mise en place d’une politique multimodale cohérente est compromise par cette dualité14. La réduction du trafic routier n’est pas pour le Sytral une finalité.

  • 15 Depuis 2020, le pouvoir métropolitain qui s’est « verdi » est plus explicite dans ses discours. Com (...)

43A Lyon, un « accord global » est acquis en ce qui concerne la diminution de la place consacrée à l’automobile « qui était très excessive par rapport à son usage » (Lyon-3, AO, technicien). Il s’agit d’un rééquilibrage au profit des autres modes. La création de couloirs réservés pour des bus englués dans la circulation se fait ainsi au détriment du stationnement. Mais la quantification des places sacrifiées n’est pas connue par les techniciens et, pour les élus engagés dans ce sens, le combat est rude pour chaque m² (Lyon-6, Métropole, élu). Cette politique de « récupération du domaine public » du stationnement (Lyon-2, Métropole, technicien) jusque dans les centres-bourgs de l’aire urbaine est néanmoins présentée comme un enjeu mobilisateur, avec la promotion du vélo et la mutualisation des parkings publics et privés. Lors des entretiens, le phénomène de démotorisation était scruté par les chargés de mission, dans l’objectif de questionner cet « objectif sous-jacent » aux décisions métropolitaines15 (Lyon-5, Métropole, technicien). Mission difficile, certains décisionnaires se détournant d’indicateurs de suivi trop nombreux (et trop peu conciliants) au profit de la mise en œuvre d’une vision politique qui n’est plus disposée à faire marche arrière.

« Juste le fait pour moi de sortir ces cartes-là [sur la hausse de la motorisation en périphérie métropolitaine], c'est compliqué de…, pour nos partenaires, de voir la vérité en face. (…). La Métropole de Lyon, (…) ça a posé problème parce qu'ils ont tellement acclimaté leurs élus sur la base de l'enquête ménages en disant : c’est bon, la part modale diminue et la motorisation se stabilise ou diminue y compris dans la couronne de l'agglomération lyonnaise ! Sauf qu'en fait, quand on regarde vraiment les indicateurs de motorisation de l’enquête ménages et qu'on calcule les validités statistiques, (…) on ne peut pas dire qu'il y a une évolution. » (Lyon-4, agence d'urbanisme, technicien)

2.4 Dijon : une multimodalité incluant toujours la voiture

  • 16 Qui agrège le réseau de transport en commun, la location de vélos (libre-service et longue durée), (...)

44Dijon est un pôle urbain de taille moyenne, fortement polarisé par la commune-centre et de morphologie relativement compacte, dans une région à dominante rurale : « On a un petit territoire qui est très resserré [...] Tout converge vers le nœud fort de la Métropole. » (Dijon-5, Métropole, élu) Forte d’une position dominante aux plans démographique et économique, la commune principale impose son leadership politique sur une intercommunalité à l’histoire déjà longue avant la création de la métropole (2017). Depuis les années 2010, la politique de transports est volontaire, articulée à des objectifs urbanistiques de densification urbaine [Desjardins, 2008], et assez innovante : inauguration de deux lignes de tramway en 2011 et 2012 (un pari pour une ville de cette taille), piétonisation du centre-ville historique (2011-2016) et signature en 2017 de la première DSP unique16, citée en exemple par les acteurs lyonnais pour sa capacité à favoriser l’inter et la multimodalité et à toucher les publics automobilistes. L’élément phare de la politique de transports dijonnaise consiste à « capitaliser sur ce réseau de transports en commun qui est très performant en termes de fréquentation et d'offres », et dans un second temps, de « diversifier un peu les types de mobilité » (Dijon-1, Métropole, technicien). La location de vélo longue durée rencontre davantage de succès que le vélo en libre-service, mais se heurte à un schéma cyclable encore discontinu.

  • 17 Comme l’opération « Dijon sans ma voiture » organisée depuis 2019 par le délégataire.

45Cette politique de transports structurée n’intègre pas la démotorisation autrement que comme privation (au même titre que la non motorisation) ou comme un événement ludique et ponctuel17. Le phénomène n’est pas particulièrement observé. « On ne parle pas souvent de la démotorisation [...] on en est trop loin aujourd’hui [...] ce n’est pas vraiment un sujet politique. » (Dijon-1, Métropole, technicien) Si la politique de stationnement est bien identifiée comme le levier qui serait prioritaire dans cette perspective, son déploiement est, dans les faits, très incomplet voire erratique. « Ouh… Joker ! [...] on a tous envie qu’il y ait moins de voitures, tout ça, et après, dans les applications quotidiennes, c’est plus compliqué, notamment la perte de stationnement. » (Dijon-1, Métropole, technicien). La mise en place du Forfait Post-Stationnement (FPS) présente un risque d’explosion sociale : « Dès qu’on touche le stationnement, mais c’est à Dijon comme partout en France, c’était partout le feu. » (Dijon-1, Métropole, technicien). Le tropisme est plus technologique que réglementaire : capteurs d’occupation des places, mise en place en 2018 du paiement par carte bleue dans les transports collectifs. « La politique de stationnement se hâte à la vitesse… non, je ne vais pas dire d'un escargot, mais… » (Dijon-5, Métropole, élu)

46La conception de la ville est assez insulaire, avec un dévoiturage progressif de l’espace central. Certains acteurs se félicitent à cet égard de l’achèvement laborieux de la rocade (2014) qui évince le trafic de transit. La ville automobile comme la ville sans automobile (dont les conséquences sociales et sur la désertification du centre-ville sont redoutées) constituent, pour les acteurs dijonnais, deux archétypes repoussoir.

3. Manières d’agir. Les « voies » de la démotorisation vers les agendas locaux

47Dans cette partie, nous croisons nos terrains pour monter en généralité et donner à voir les mécanismes qui semblent déterminants dans le processus d’inscription sur l’agenda politique local. Nous verrons d’abord les modalités d’identification d’une situation de démotorisation et de construction d’un problème public, phase impliquant traditionnellement différents « acteurs sociaux » [Neveu, 2017] (3.1). Ensuite, sa prise en charge par la puissance publique locale sera analysée à travers trois types de mesures prises en vertu d’un récit élaboré autour de la démotorisation. Analysées dans le détail, ces mesures opérationnalisent de façon plus ou moins aboutie un projet politique de démotorisation plus ou moins volontariste selon les terrains (3.2). L’ambition de fabriquer une ville démotorisée rencontre en effet des obstacles (3.3).

3.1 Construction d’un problème : le signal économique de la gestion des parkings publics et le rôle de l’expertise locale

48Plusieurs des acteurs enquêtés mentionnent les difficultés de gestion des parkings publics en ouvrage en introduction de leur discours sur la démotorisation. L’énonciation de ce problème structurel paraît être une sorte de tournant inaugural dans la construction d’un problème public associé à la démotorisation, car elle en est l’une des premières manifestations locales (perçues). Les gestionnaires de ces structures, pour qui l’équilibre financier est un objectif explicite, réagissent à la réduction de leurs marges traditionnellement fortes sur cette activité et se transforment en « entrepreneurs de cause » [Neveu, 2017]. L’expertise locale est également très vite mobilisée sur cette question.

  • 18 Suffisamment pour financer pendant dix ans l’activité d’autopartage déficitaire portée par la même (...)

49A Paris, ces parkings sont décrétés vides, d’autant plus facilement que c’est le signe de l’atteinte d’objectifs politiques revendiqués (limitation des flux automobiles). A Lyon, le délégataire rencontré les estime saturés et rentables18, mais la nécessité d’adapter rapidement le modèle économique aux objectifs de la puissance publique en matière de mobilité durable est admise. Comme à Paris, ces objectifs oblitèrent la rentabilité à moyen terme de ces structures puisqu’ils visent le report modal des visiteurs vers le transport collectif et incitent les résidents à immobiliser au maximum leur véhicule via un « abonnement domicile » imposant un nombre maximum d’entrées/sorties. « D’un point de vue économique, c’est exactement l’inverse du métier du parking à la base. » (Lyon-2, SEM, technicien). Le discours de l’autorité métropolitaine est quant à lui déjà aligné sur le diagnostic parisien : « On a plein de parkings vides, on ne sait pas quoi en faire. » (Lyon-1, Métropole, technicien)

  • 19 Stratégie qui vise à exploiter le fait que tous les abonnés ne sont pas présents en même temps, ce (...)

50Le dévoiturage de l’espace central contraint le modèle de gestion des parkings en ouvrage à l’évolution. Mais c’est en réalité la gestion du stationnement urbain dans son ensemble qui va être mise en réflexion compte tenu de son fonctionnement systémique (cf. 1.3). A cette occasion, la baisse de la possession (démotorisation stricto sensu) s’invite dans les raisonnements à côté de la baisse de l’usage. Au sein des parkings publics en ouvrage, des stratégies de diversification de l’offre (accueil des vélos et véhicules partagés) et de foisonnement19 sont mises en œuvre, pour intensifier l’usage des équipements existants mais aussi justifier auprès des administrés le refus d’en construire de nouveaux. Dans cette optique, les capacités excédentaires sont traquées partout où elles se trouvent en ville, et notamment dans le parc de logements sociaux. Ces actifs immobilisés pourraient participer de la reconfiguration du modèle économique d’exploitation. Le délégataire lyonnais ambitionne ainsi de devenir une « place de marché » de l’offre, centralisant dans une application l’« offre tierce » des bailleurs sociaux, mais aussi de cliniques et d’entreprises (Lyon-2, SEM, technicien). Ce repositionnement comme agrégateur d’offre de « parking partage » est encouragé par la puissance publique locale (Lyon-1, Métropole, technicien). Il augmente l’acceptabilité de la réduction de l’offre publique de stationnement sur voirie. Cette réduction est impérative pour les gestionnaires qui en appellent à l’intervention publique.

« Je prêche un peu pour notre paroisse, mais pas que, puisque les parkings, ça reste du patrimoine, des actifs de la collectivité, (...) le but, ce n’est pas qu'ils deviennent inutilisés (…) et que, du coup, on conserve beaucoup de véhicules en voirie, des voitures un peu ventouses (...). Donc, non, [la démotorisation] ça ne nous fait pas peur, c'est juste qu'il faudra que la place en voirie diminue progressivement aussi. » (Lyon-2, SEM, technicien)

  • 20 Par exemple, les analyses du recul des stations services (Apur, 2013) ou des capacités excédentaire (...)

51Parallèlement, l’expertise locale fournit un travail important de recensement de l’offre, publique mais aussi privative (immobilier résidentiel hors logement social et parcs commerciaux), et rapporte ces chiffres aux taux de motorisation des résidents. Le calcul d’un « trop plein » devient un exercice de référence. Le chiffre d’un taux d’occupation de 50 % de l’offre privée de stationnement dans certains secteurs circule dans les discours des acteurs lyonnais, tandis que le rapport de présentation du PLU-H fait le constat d’un total de places publiques et privées double du nombre maximal de voitures présentes sur le territoire [Grand Lyon et UrbaLyon, 2019, p. 177]. Côté parisien l’Apur, qui suit régulièrement l’évolution du taux de motorisation par quartiers depuis au moins 2003, adopte en 2010 un indicateur qui convertit la baisse de l’équipement automobile des Parisiens en hectares (17 pour 1999-2006) via le nombre de places de stationnement sur voirie théoriquement libérées [Apur, 2010]. A cette époque, les analyses témoignent encore d’une conception correctrice de l’action publique vis-à-vis du recul des territoires de l’automobile20. Mais la tendance est dans l’ensemble jugée positive pour la collectivité : l’amortissement des chocs vise à faciliter la transition. Dans les publications suivantes, le gain pour la collectivité est clairement mis en avant. En 2019, l’Atelier intègre l’offre privée dans ses calculs (immeubles et parkings commerciaux), et estime à 25 % les capacités excédentaires du stationnement résidentiel au regard de la motorisation des habitants, avançant le chiffre de 96 ha « qui pourraient potentiellement évoluer vers d’autres usages du stationnement ou de nouveaux services » [Apur, 2019]. Désormais employé, le terme de démotorisation signale la transformation de l’indicateur en opportunité. La « baisse de la motorisation » était cartographiée à l’échelle fine des arrondissements, voire de « secteurs » pour apprécier des déséquilibres ; la démotorisation l’est à l’échelle des communes et sur le périmètre de la métropole : sont ainsi mises en exergue la généralisation du phénomène sur des communes entières et sa diffusion concentrique vers de nouvelles frontières. L’avancée de ce front de démotorisation constitue un horizon politique.

52Le constat d’une baisse « spontanée » de l’équipement des ménages, analysée comme conséquence indirecte des politiques de mobilité ayant développé la multimodalité, se trouve à l’origine de la carrière de la démotorisation comme problème public. L’objectivation du phénomène est portée par l’expertise locale des agences d’urbanisme assistées de bureaux d’étude (6T, Codra, SARECO, Adetec). L’ajustement des méthodes d’observation, activement souhaité par les services techniques enquêtés, témoigne de la transformation de l’approche : phénomène avéré, la démotorisation peut devenir objectif politique à condition que la démarche soit correctement suivie et outillée. En son nom vont se prendre des mesures. Mais ces mesures peuvent relever de la projection volontariste ou de l’accompagnement.

3.2 Prise en charge politique de la démotorisation : des mesures plus ou moins projectives

53Quelles sont les mesures associées par nos enquêtés à la démotorisation en tant qu’objet de politique locale ? Elles investissent trois domaines : le stationnement sur voirie, la fourniture de services de mobilité alternatifs et l’évolution des normes réglementaires d’urbanisme.

Stationnement sur voirie : faire payer et « recycler »

54C’est d’abord à une gestion plus restrictive du stationnement sur voirie que l’objectivation du phénomène de démotorisation ouvre la voie. A ce stade, nos terrains affichent des situations déjà très différenciées (cf. partie 2). A Dijon, où existe encore du stationnement gratuit à proximité immédiate de l’hypercentre, l’énergie politique est consacrée à faire rentrer dans les mœurs l’habitude de payer pour se garer : les riverains sont consultés rue par rue avant l’éventuelle suppression de la gratuité en bas de chez eux. En 2022, l’augmentation des tarifs est motivée par l’abondance des capacités en ouvrage, ce qui n’empêche pas de nouvelles réalisations (cité de la gastronomie). La suppression des places est trop délicate pour être à l’ordre du jour. A Paris, la disparition du stationnement gratuit est programmée dès les années 2000 « en privilégiant le stationnement résidentiel » dont les tarifs connaissent une baisse particulièrement sensible à la même période (PADD PLU 2006). La suppression de 70 000 places de surface en six ans est annoncée en 2020. Lors des entretiens, Lyon emboîtait doucement le pas à Paris. Le stationnement gratuit y concernait encore les deux-tiers des places en 2019 mais les zones payantes « s’étendent progressivement, d’année en année », la mise en œuvre du FPS à 60 € ne provoque pas « le tollé auquel on s’attendait » et la suppression des places sur voirie « se passe un petit peu de manière continue » (Lyon-3, AO, technicien), moyennant certaines précautions (cf. 3.3). Enfin, sur les trois terrains, les techniciens remettent en cause les intouchables politiques de stationnement résidentiel : à Paris, certains enquêtés jugent ce pan de la politique municipale contraire aux objectifs de libération de l’espace ; à Dijon, le renchérissement des tarifs résidentiels soutiendrait l’autopartage. Cette remise en question est cependant peu suivie d’effets. En 2022, l’abonnement résident à Dijon a connu une baisse en centre-ville.

La voiture dans le bouquet des services de mobilité : décorative ou indispensable ?

55Voie possible de diversification (de leur activité ou de leur clientèle) pour les gestionnaires de parkings en ouvrage, l’autopartage est soutenu par la puissance publique locale à Paris et Lyon au nom de la multimodalité puis de sa contribution documentée à la démotorisation. A Paris, l’échec d’Autolib’ est l’occasion de repenser le dispositif en ce sens : Mobilib' prend le relai en 2018 et propose des trajets en boucle exclusivement, des possibilités de réservation à l’avance et quelques véhicules thermiques pour des déplacements plus longs. Le dispositif est plus « démotorisant » que décarboné, et clairement paramétré dans ce but. Le nombre de véhicules comme de places réservées équipées en bornes de recharge est en nette diminution : « Il y a des mairies qui veulent les récupérer pour faire du stationnement vélo, pour faire la rue aux enfants, qui ont des idées pour ces places. » (Paris-4, Ville, technicien A). Les services en free floating, qui ne sont « pas la meilleure solution si on veut avoir moins de véhicules dans Paris » (Ibid.), ne font pas l’objet d’une DSP et ne bénéficient pas de places réservées. A Lyon, l’autopartage est pensé en accompagnement de la dynamique existante de démotorisation, sans présager d’une réduction des besoins. Il s’agit dans l’idéal de fournir une offre de substitution au parc de véhicules particuliers aujourd’hui en circulation.

« Est-ce qu'on pourra, demain, en être à un seuil critique [de véhicules d’autopartage à disposition] qui permettra vraiment d'avoir un effet sur la motorisation des ménages, je l’espère, mais j'ai du mal à le savoir. C'est très réduit, quand même, aujourd'hui. (…). Disons qu’il y a 1000 voitures aujourd'hui en autopartage dans l'agglomération, quand on met ça en regard… (…) il doit y avoir quelque chose comme 300 000 voitures aujourd'hui dans Lyon - Villeurbanne, est-ce qu’on peut imaginer que demain, l’ordre de grandeur soit comparable en termes d’autopartage, qui est, je ne sais pas, 100 000 voitures en autopartage pour répondre aux besoins des habitants ou des visiteurs ? (…) C'est un peu comme les parcs relais, (…) on est sur des choses qui paraissent nécessaires, mais on sent bien que par rapport à la masse des déplacements automobiles auxquels on a à faire face, ça reste très faible. » (Lyon-3, AO, technicien)

  • 21 Prendre à la volée une voiture partagée au lieu des transports collectifs ou de la marche ; station (...)
  • 22 Les études sur le sujet révèlent qu’il est plus facile de trouver des automobilistes prêts à ouvrir (...)

56Bien qu’une attention particulière soit portée dans les discours des acteurs lyonnais aux effets d’aubaine21, il s’agit moins de miser sur la démotorisation des ménages que de circonscrire l’usage de l’automobile en développant services et infrastructures immédiatement dépassés par des besoins dont la réduction n’est pas envisagée. La volonté de diversifier l’offre s’exprime aussi dans les efforts pour développer le covoiturage, dont l’impact sur la démotorisation est faible22. A ce stade, c’est en dépassant l’opposition voiture/transports collectifs, très structurante jusque dans les années 2000, que la puissance publique fait montre de sa capacité d’innovation en matière de mobilité.

« Dans nos logiciels, on est très infra, on raisonne offre, en fait. (...) et c'est vrai que ces dix dernières années, on s'est mis à (…) aller plus vers l'usager et comprendre ses besoins pour lui proposer des services ad’ hoc, mais c'est une révolution très, très forte, pour nous. » (Lyon-1, Métropole, technicien)

57La focalisation sur le report modal vers les transports collectifs se module au profit d’un report vers la voiture partagée, à besoins constants voire croissants.

  • 23 Les discours soulignent d’ailleurs l’écueil de son coût rédhibitoire pour répondre à un besoin d’ac (...)

58A Dijon, loin d’être un levier de démotorisation, l’autopartage est perçu comme un levier d’insertion par la motorisation23. La DSP unique affiche une mission « voiture partagée » mais c’est une coopérative de l’Economie Sociale et Solidaire qui assure le service, avec un soutien public modéré. Les initiatives de covoiturage restent très ponctuelles.

Limitation du stationnement privatif : accompagner ou anticiper ?

59Autre volet de mesures associé par les enquêtés à une prise en charge politique de la démotorisation : la modification des normes du PLU en matière de réalisation obligatoire de stationnement dans les nouvelles constructions. Le sujet est discuté par les techniciens locaux de plusieurs agglomérations, dont Lyon et Dijon, lors de leurs rencontres annuelles (Lyon-1, Métropole, technicien). A Paris, l’évolution réglementaire de 2016 (cf. 2.2) est une porte d’entrée souvent ciblée pour aborder la démotorisation. A Lyon, les normes de stationnement ont été une des rares occasions d’évoquer la démotorisation stricto sensu (au-delà de l’usage) dans les arènes locales. La problématique est la même que pour l’autopartage : accompagner ou faire preuve d’anticipation ?

« On avait un peu parlé de taux de motorisation dans le cadre de la révision du PLU de la Métropole, pour adapter les normes de stationnement, par rapport à… alors, après, ce n’est jamais évident : comment est-ce qu'on traite ça, est-ce que justement, on prend pour objectif de dire que ça va encore diminuer à l’avenir ou pas, selon le secteur, enfin, c’est des sujets compliqués et sensibles. » (Lyon-3, AO, technicien)

60Les normes de stationnement ont de fait été abaissées dans le nouveau PLU, en fonction de la qualité de desserte en transport. Le « motif » est double : démotorisation des ménages et trop-plein de places sur voirie « qui ne servent à rien et qui ne sont pas occupées » suite à l’augmentation des tarifs post-dépénalisation (Lyon-1, Métropole, technicien). Il s’agit plutôt d’une adaptation aux pratiques :

« On a construit pendant 20 ans avec des normes très élevées (...). Dans le cadre de notre nouveau PLU, on a réduit assez fortement le nombre de places à construire, justement, pour encourager ou développer la démotorisation, ou l’accompagner. Alors, on ne sait pas trop, entre la poule et l’œuf, là. (...) Je ne pourrais pas vous dire exactement comment ça se passe. » (Lyon-1, Métropole, technicien)

61Les politiques lyonnaises sont encore dans une problématique de fourniture et dimensionnement d’infrastructures. A Paris, l’optique est celle d’une réduction volontariste des besoins au-delà des tendances spontanées. L’anticipation se fait vigoureuse. La direction de l’environnement qui « porte tous les sujets en lien avec le climat » est l’ambassadrice de ce projet politique de démotorisation fondé sur une rupture avec la projection des tendances (Paris-6, Ville, technicien). Le principal levier d’action est prospectif.

« Ce qui est intéressant, c’est qu’on a des opérations qui vont être livrées en 2032 (...). Comment sera la circulation dans Paris et dans ce quartier, comment sera le périphérique à ce moment-là ? C’est un travail d’anticipation, enfin de prospective que les collectivités doivent faire. » (Paris-6, Ville, technicien).

62Certains programmes de densification reposent sur des hypothèses audacieuses de démotorisation à l’horizon de la livraison des programmes (Paris-9, aménageur, technicien). A Saint Vincent de Paul (cf. 2.2), il a été demandé aux promoteurs de ne pas réaliser de stationnement privé. Sur la voie publique, seules 4 places de livraison et 4 places pour Personnes à Mobilité Réduite seront créées. Alors même que « aujourd’hui, on a [sur le quartier] une pénurie de places. Mais ce qu’on montrait, ce que l’effet massif de la démotorisation allait libérer des places. (…). Un programme d’aménagement a une valeur performative » (ibid.).

63Ce saut dans le futur reconfigure les partis d’aménagement sur de nombreux plans. Plus que les enjeux de mobilité, encore traités avec les outils de l’ingénierie des flux, la gestion des eaux pluviales va ainsi impacter les infrastructures et les usages. Les routines professionnelles de nombreux services techniques (espaces verts, voirie, propreté…) doivent évoluer en profondeur pour répondre aux objectifs environnementaux parfois antagonistes, inscrits dans des Plans (pluie, climat…) votés ou en passe de l’être. Mais ce nouveau référentiel reste à opérationnaliser sur le terrain

3.3 La démotorisation comme projet politique : limites et tâtonnements

64La construction d’un « problème public » implique celle d’une légitimité de la puissance publique à agir dessus, qu’il s’agisse d’en absorber les externalités négatives ou d’en valoriser les bénéfices collectifs. La transformation de la démotorisation en projet politique est dépendante de l’appréhension que la puissance publique locale a de son propre rôle. Elle implique aussi un travail important sur l’acceptabilité du projet par la matérialisation anticipée des bénéfices collectifs. Son inscription définitive dans la ville est encore marquée par les tâtonnements.

Des conceptions différentes du rôle de la puissance publique

65A Dijon, la prise en charge politique de la démotorisation en est au stade d’accompagnement des externalités négatives. A Paris, cette conception correctrice de l’action publique s’est effacée dans la première moitié des années 2010 (cf. note 19) au profit d’un projet politique de transition écomobile. A Lyon, le changement de paradigme était à l'œuvre au moment des entretiens. Ces positions différenciées se retrouvent dans le droit que les acteurs publics s’accordent à orienter les comportements individuels.

66A Paris, il s’agit d’accélérer la dynamique en créant un environnement dans lequel les comportements deviennent vertueux par immersion. Le phénomène constaté de démotorisation a autorisé des mesures structurelles qui doivent l’accentuer : « (…) on ne peut pas attendre non plus que les gens soient prêts à cette démotorisation, les enjeux sanitaires, de qualité de vie à Paris, sont tels qu’il faut y aller. » (Paris-6, Ville, technicien). A Dijon, les acteurs publics s’autorisent beaucoup moins d’interventionnisme. La puissance publique doit proposer et non contraindre, inciter et ne pas juger. « Démotorisation, en tant qu'acteur public, utiliser ce terme, c'est … c’est tendancieux parce que c'est presque moralisateur, (...) il ne me semble pas que ce soit politiquement correct. (...) Il faut avant tout proposer des solutions… adaptées, attractives. » (Dijon-4, Région, technicien). Le scénario d’un système urbain démotorisé (cf. 1.2) fonctionne largement grâce à la société civile. Le terrain lyonnais semblait avant le changement de majorité en 2020 en situation intermédiaire : la puissance publique comptait sur les acteurs socio-économiques pour pallier ses carences, voire se réformer elle-même.

« C'est un peu la marque lyonnaise : c'est vraiment de contractualiser avec le privé, (...) notre ancien président, Gérard Collomb, il était vraiment dans cet esprit-là. (...) Elle [l’entreprise privée] sait parler aux usagers, enfin, aux clients, (...) elle a cette relation clients qu’on n’a pas du tout, parce que nous, on raisonne infra. » (Lyon-1, Métropole, technicien)

67Dans ce contexte, la puissance publique oriente plus qu’elle ne contraint, et ne gagne pas à se substituer aux acteurs socio-économiques. La promotion du covoiturage par exemple ne convainc pas parce « les gens se débrouillent déjà entre eux » (Lyon-5, Métropole, technicien). La mission « prospective », qui se consacre pour une part importante au management de la mobilité, déploie des dispositifs d’accompagnement auprès des entreprises et des expérimentations de diversification de l’offre. Leur pérennisation est explicitement soumise à l’appropriation du dispositif par les acteurs privés. « Nous, ici, on a vocation à impulser, pas à faire du suivi. » (Ibid.). Le caractère transitoire de l’intervention publique est assumé mais les acteurs reconnaissent le peu d’effets à long terme de ces expérimentations de services. Qualifiées d’innovantes, ces actions visent à sortir pendant un temps la voiture des pratiques de mobilité dans l’espoir de générer de nouvelles habitudes ; placé aussi sous le signe de l’expérimentation, l’urbanisme transitoire la sort du paysage, avec des effets plus tangibles. Il est constitutif de la mise en œuvre délicate du projet politique de démotorisation.

Une acceptabilité politique délicate

  • 24 Les 70 000 places de stationnement dont la suppression est annoncée sur la mandature (2020-2026) so (...)

68Lorsque l’accompagnement des externalités négatives cède la place au soutien engagé, le risque d’attaques politiques est majeur. Les réactions sont, de l’avis des techniciens, très violentes. Le risque est borné par une méthode fondée sur l’exemplarité, la démonstration in vivo qu’on peut vivre sans voiture et une conversion progressive des électeurs aux bénéfices d’un cadre de vie démotorisé. Il faut donner à voir (et à vivre) ce qui est gagné en perdant des facilités d’usage et possession de l’automobile, « ne pas être que dans le dur, proposer une vie autour du projet » (Lyon-6, Métropole, élu). Les actions participatives et la concertation sont particulièrement développées autour du projet d’aménagement de Saint-Vincent de Paul (Paris-9, aménageur, technicien). A Lyon, la suppression du stationnement sur voirie procède parfois par étapes : d’autres usages sont testés pendant un temps limité (terrasses de restaurant, food trucks, espaces de jeux, etc.), puis une consultation est organisée pour pérenniser ou non la reconversion. A Paris, la consultation des administrés ne porte plus sur le principe de la suppression mais sur les nouveaux usages24. La communication événementielle occupe une place importante dans cette stratégie de transformation des représentations. Les expérimentations démonstratrices sont médiatisées et pédagogiques. Les piétonnisations sauvages de la desserte des écoles par les associations (Lyon) sont précédées d’une campagne d’information et constituent un « happening pour faire venir la presse » (Lyon-6, Métropole, élu). Institutionnalisé, cet urbanisme tactique devient un outil d’action publique, crucial lorsque l’intervention consiste à soustraire. Seule l’expérience par l’usage légitime le réaménagement. « Il y aurait des choses à faire pour limiter ce stationnement en surface, et à partir de là, Paris serait vraiment tout à fait changé, et tout le monde le reconnaîtrait. » (Paris-6, Ville, technicien).

69Deux familles de mesures sont rattachables à un objectif politique de démotorisation : l’une diversifie l’offre de mobilité dans l’espoir d’une multimodalité accrue des pratiques, l’autre modifie l’organisation de l’espace. La dimension expérimentale qui leur est commune est synonyme de provisoire pour la première tandis qu’elle forge, pour la seconde, l’acceptabilité de changements structurels. Inscrits dans le « dur », ces changements se heurtent à la difficulté d’opérationnaliser les différentes temporalités de ce qui ne relèvent plus du transitoire mais de la transition.

Opérationnaliser la démotorisation

  • 25 Ils sont concrètement mal maîtrisés par les techniciens.

70La mise en œuvre opérationnelle d’un projet politique de démotorisation relève de la gestion dans le temps d’une co-évolution des usages, du bâti et de l’espace public. Construire aujourd’hui pour les usages de demain oblige à synchroniser des changements qui n’ont pas les mêmes rythmes. A Lyon, les services techniques s’interrogent sur le processus concret de la démotorisation : « (…) il n’y a aucune étude qui montre, je crois, que si on réduit le nombre de garages, on réduit le taux de motorisation, donc, je ne peux pas m'appuyer sur grand-chose pour la démonstration. » (Lyon-1, Métropole, technicien) Même à Paris, si la ligne politique est claire (moins de véhicules à l’arrêt ou en circulation), son opérationnalisation est en cours. « Pour l'instant, on est encore en train de se poser des questions, où est-ce qu'on met les curseurs ? » (Paris-5, Ville, technicien). Très structurants dans les discours, le PLU et ses normes le sont moins dans l’action25. « Pour l'instant, il n'y a pas de règles précises écrites [dans le PLU], moi, je ne peux pas m'appuyer sur ça. » (Ibid.). Les règles se formulent au cas par cas, en tâtonnant pour trouver un mode général de régulation des antagonismes à l’œuvre, fonction des intérêts en présence et de leur appréciation également variable : ne pas réaliser de places privatives abaisse les coûts de construction mais peut compromettre les ventes, et reporte la demande sur l’espace public ; en construire fait peser sur le même espace public la menace d’un appel d’air de véhicules en circulation.

« Il n’y a pas de règles définies par ce que ça va dépendre beaucoup de l'existant. On fait donc une étude de l'existant en termes de parkings (...) dans le parc public, privé, s’il y a une grande surface commerciale à côté (…), essayer de mutualiser au maximum les parkings existants, et même ceux qu'on va construire. Et tout le temps, l'impulsion [politique est] maximum pour qu'il y ait de moins en moins de parkings. Alors, après, la règle, elle est encore à trouver, c'est un sujet vraiment qui est d'actualité chez nous, on va l’évoquer, à nouveau, avec la direction de l'urbanisme (…). On n'a pas encore défini les règles de manière précise, et on va travailler dessus. » (Paris-5, Ville, technicien)

71Les hypothèses de démotorisation adoptées dans certaines opérations d’aménagement impactent le calibrage des voies et du stationnement dans et autour des opérations, et soulèvent des discussions entre services techniques. Les méthodes prospectives heurtent les « (…) collègues de la voirie et des déplacements [qui] sont des gens qui comptent » (Paris-6, Ville, technicien) et voudraient par ailleurs étendre le raisonnement au-delà du seul parc automobile parisien pour considérer les flux à plusieurs échelles. La création de l’agence de la mobilité, décrite comme un service non pas opérationnel mais chargé de « la réflexion en amont de ce que pourra devenir la ville » (Paris-5, Ville, technicien), répond à ce besoin politique de fabriquer du projet innovant. Mais la difficulté à rompre avec des scénarios de démotorisation au fil de l’eau demeure, et la prise de risque est, d’après certains témoignages, encore timorée : « Dans les études d’impact pour chacune de ces opérations, les hypothèses de trafic et de motorisation, elles sont assez prudentes. » (Paris-6, Ville, technicien)

Limites territoriales

72L’expansion d’une politique de démotorisation sur les territoires urbains et périphériques se heurte enfin aux clivages morphologiques, sociaux et parfois politiques qui opposent les territoires. Certains acteurs cherchent à dépasser l’opposition centre-périphérie en croisant les données sociales (revenus, taille des ménages) et spatiales (écart au centre, offre de transport) pour une analyse plus fine des clivages, « voir s’il y a une typologie de territoires » (Lyon-4, agence d'urbanisme, technicien), en vain. Pour les acteurs, les clivages morphologiques dominent en tant que limites à la démotorisation. Mais ils constatent aussi que certains quartiers denses de banlieue sont aussi hors zone de pertinence : leurs habitants, peu motorisés, « préfèrent avoir des voitures qui tournent plutôt que des voitures qui brûlent ou pas de voiture du tout parce que c’est la désertification » (Lyon-1, Métropole, technicien).

  • 26 Le nombre de voitures en transit est rapporté au nombre de voitures possédées par les habitants de (...)

73En plus de devoir rallier la population, les politiques de démotorisation se heurtent aux compétitions politiques qui s’ajoutent à l’articulation difficile des périmètres de compétences. Si c’est à Lyon qu’elles sont le plus mises en avant, avec la résistance qu’opposent certains maires d’arrondissements et communes périphériques via leur compétence sur le stationnement, c’est que la démotorisation, sans être encore en 2019 un projet politique à part entière, y est un phénomène scruté par la métropole. A Paris, la démotorisation est un projet municipal autonome qui ne se heurte que faiblement aux concurrences politiques anciennes entre la Ville et la Région. Sa prise en charge au niveau métropolitain, inexistante en 2019, sera peut-être accélérée par la mise en place par étapes de la Zone à Faibles Emissions. En attendant, elle sert d’argumentaire à un projet de Zone à Trafic Limité restreint aux quatre arrondissements centraux26. A Dijon, les deux AOM que sont la Métropole et la Région n’articulent guère leurs politiques. Le récit des acteurs met en avant un enjeu de « passage à l’échelle supérieure » pour penser et agir, qui absorbe beaucoup d’énergie dans la mise en œuvre de politiques de mobilité classiques encore éloignées de l’objectif de démotorisation.

74Ces clivages territoriaux discriminent les solutions en fonction du type d’espace (Fig. 2). Seul le vélo peut prétendre se faufiler au travers des frontières. Dans les discours politiques actuellement audibles sur nos trois terrains, il est devenu une solution consensuelle de démotorisation mais aussi de mobilité pour les non motorisés (avec un objectif de déploiement de la pratique cyclable dans les quartiers défavorisés). Un objet sur lequel opérer la difficile convergence entre objectifs sociaux et environnementaux ?

Figure 2. Actions considérées comme pertinentes par les enquêtés selon le type d’espace

Figure 2. Actions considérées comme pertinentes par les enquêtés selon le type d’espace

Conclusion

75En termes de connaissance comme d’action, la démotorisation reste un champ à défricher. Mais sur les terrains parisien et (dans une moindre mesure) lyonnais, elle est un ressort d’action publique. La connaissance technique s’y développe de pair avec la formulation progressive d’un objectif politique. Certains acteurs y ont une vision relativement claire de la façon dont la nébuleuse d’actions (Tab. 2) s’ordonne au service de cet objectif, y compris pour en souligner les contradictions internes. L’instrumentation de cet objectif est en cours : fragile lorsqu’elle repose sur l’expérimentation, elle est tâtonnante lorsqu’il s’agit de la matérialiser sur le long terme. Mais la notion de politique publique de démotorisation nous parait opératoire. Elle doit cependant être plus contextualisée que ne le permet l’idée d’une trajectoire tracée par Paris, avec Lyon en position de suiveur et Dijon en queue de peloton.

76Parmi les facteurs de différenciation, l’importance de l’expertise locale dans le processus de « mise en politique » de la démotorisation conduit à l’hypothèse du rôle discriminant de la présence d’une agence d’urbanisme (absente à Dijon). L’intervention dans la fabrique urbaine d’opérateurs (gestionnaire de parkings, aménageur) dans la gouvernance desquels la puissance publique est présente est aussi un facteur clef. Surtout, le destin du problème public de la démotorisation, plus porteur pour certains acteurs politiques que pour d’autres, est indissociable du rapport de forces local. Le risque politique de la démotorisation est calculé. L’engagement actif de certains élus est lié à la connaissance des attentes de leur « public ». Les élus écologistes lyonnais parlent d’un changement culturel. « Il y a dix ans, les élus écolos étaient très seuls, aujourd'hui, il y a un vrai mouvement de population dessus. » (Lyon-6, Métropole, élu) Les résultats électoraux des municipales de 2020 à Lyon comme à Paris ont montré que ce raisonnement n’était pas sans fondement. Une analyse sociologique des terrains montrerait que la problématisation politique et sociale de la démotorisation ne peut y être posée de la même façon, notamment lorsque le rural est aux portes de la ville comme à Dijon.

77Le facteur morpho-géographique oriente aussi l’action politique en déterminant le « champ des possibles imaginables » par les acteurs (Kaufmann & Sager, 2009). Façonné en retour par des décisions parfois structurantes du long terme, il peut se constituer en facteur d’irréversibilité (Pflieger et al., 2007). Nos terrains pourraient être dépendants de sentiers différents et non à des niveaux différents de progression sur une trajectoire commune. L’objectif de démotorisation s’y construit sur les territoires centraux des très grosses agglomérations, qui sont aussi dans notre étude ceux sur lesquels les valeurs environnementales s’imposent dans la structuration partisane des rapports de force. Cet objectif politique de démotorisation s’étendra-t-il aux périphéries et aux villes plus petites ? Il ne peut en tout cas guère compter à ce stade sur une impulsion centrale, le paradigme de transition promu à l’échelon gouvernemental n’étant pas celui de la sobriété.

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Notes

1 Le terme apparaît en 2022 dans les publications de l’Apur qui parlent auparavant de « baisse de la motorisation ».

2 Le repérage de ses apparitions entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2023 grâce à l’outil Talkwalker© signale 5 occurrences au second semestre 2019 contre 33 au premier semestre 2023 et montre une progression régulière.

3 Sur ce thème encore peu banalisé, les enquêtés ont repéré et désigné dans leur environnement local les interlocuteurs susceptibles d’être diserts sur le sujet, en lien avec des positions institutionnelles ou personnelles. Construites au fil des entretiens, les configurations d’acteurs rencontrés ne sont donc pas rigoureusement symétriques d’un terrain à l’autre.

4 Elles-mêmes non-motorisées.

5 La stratégie politique vis-à-vis du vélo suit une tendance inverse, l’offre en libre-service perdant en intérêt à mesure que la hausse de la pratique fait ressortir les vélos privés des caves. La puissance publique locale encourage alors la possession en agissant sur le stationnement vélo privatif.

6 Un graphique de ce type a été présenté par une intervenante de la Ville de Paris lors de la table-ronde inaugurale des Rencontres Francophones des Transports et de la Mobilité en 2021. La condamnation récente de la trottinette en libre-service, qui devra quitter le territoire parisien en septembre 2023, s’y lit en filigrane. En plus d’être particulièrement peu avantagée par ces calculs, elle ne présente pas d’intérêt en termes d’incitation à la démotorisation. Les opérateurs de ces services ont perdu le soutien de la puissance publique locale dans plusieurs agglomérations en France et en Europe.

7 Les bureaux d’étude (SARECO, Mobil’homme…) contribuent à diffuser des ratios de 2 voire 3 places de stationnement par voiture dans certaines villes. L’immobilité des véhicules est également scrutée.

8 Dès 2005, l’Apur publie ses « réflexions pour une politique globale du stationnement dans Paris » (https://www.apur.org/sites/default/files/documents/199.pdf)

9 https://www.iledefrance.fr/toutes-les-actualites/plan-route-de-demain-335-millions-deuros-investis-dici-2027, consulté le 1er décembre 2023.

10 Le syndicat mixte Ile-de-France Mobilité (AOM) est présidé par la Région.

11 Abonnements transports en commun et vélo en libre-service offerts pendant un an, réduction de 50% de l’abonnement à l’autopartage, aide à l’achat d’un vélo pour les Parisiens qui abandonnent une voiture immatriculée avant 2001.

12 En cela, le PLU se conforme à l’obligation légale de compatibilité avec le PDUIF mais en baisse au passage les plafonds.

13 Valables lors des entretiens, ces orientations ont pu être affectées par la crise sanitaire au profit d’un investissement dans la cyclabilité du territoire. Le vote en 2022 d’un plan « Route de demain » montre toutefois leur réactualisation.

14 Par exemple, les parkings relais gratuits du Sytral (métro-tram) concurrencent ceux de la région et de la métropole (TER), et vident les navettes de rabattement, allant jusqu’à revaloriser le véhicule personnel comme solution pertinente face aux coûts. « Je me souviens même qu'il y avait une responsable du service transport de [une intercommunalité périphérique] qui disait que, pour le même coût qu'une navette, ils auraient pu acheter une voiture à tous les gens qui venaient prendre le train. » (Lyon-4, agence d'urbanisme, technicien)

15 Depuis 2020, le pouvoir métropolitain qui s’est « verdi » est plus explicite dans ses discours. Comme annoncé par les acteurs enquêtés, le thème a été présent dans la campagne électorale. Il se retrouve sur l’agenda politique en marqueur politique de l’alternance [Aldrin et al., 2016].

16 Qui agrège le réseau de transport en commun, la location de vélos (libre-service et longue durée), le stationnement (en ouvrage puis également de surface).

17 Comme l’opération « Dijon sans ma voiture » organisée depuis 2019 par le délégataire.

18 Suffisamment pour financer pendant dix ans l’activité d’autopartage déficitaire portée par la même SEM gestionnaire.

19 Stratégie qui vise à exploiter le fait que tous les abonnés ne sont pas présents en même temps, ce qui permet de donner la jouissance d’une même place à plusieurs profils d’usagers n’ayant pas les mêmes horaires.

20 Par exemple, les analyses du recul des stations services (Apur, 2013) ou des capacités excédentaires de stationnement privatif dans certains secteurs (Apur, 2010) estiment négativement les effets sur la qualité de vie des ménages (trajets d’approvisionnement allongés, stationnement excédentaire ici mais déficitaire plus loin). Les facteurs explicatifs de la baisse de la motorisation agrègent d’ailleurs des mesures politiques (développement des modes alternatifs) qui en font un acte choisi, et des facteurs exogènes qui en font un renoncement subi (coût des carburants).

21 Prendre à la volée une voiture partagée au lieu des transports collectifs ou de la marche ; stationner dans un parking relais gratuit occupé pour un tiers par des habitants de la commune qui auraient pu rejoindre la gare par d’autres moyens (Lyon-6, Métropole, élu).

22 Les études sur le sujet révèlent qu’il est plus facile de trouver des automobilistes prêts à ouvrir leur véhicule à d’autres voyageurs que des volontaires pour monter dans le véhicule d’autrui.

23 Les discours soulignent d’ailleurs l’écueil de son coût rédhibitoire pour répondre à un besoin d’accès quotidien à l’emploi, et donc les limites de cette action.

24 Les 70 000 places de stationnement dont la suppression est annoncée sur la mandature (2020-2026) sont régulièrement converties virtuellement en surface de jardins parisiens (2 jardins du Luxembourg). Une consultation publique sur leur « recyclage » a eu lieu.

25 Ils sont concrètement mal maîtrisés par les techniciens.

26 Le nombre de voitures en transit est rapporté au nombre de voitures possédées par les habitants de la zone, pour conclure à un ratio de 10 qui entend démontrer l’incohérence de la situation subie par ceux-ci (Tweet de David Belliard, adjoint en charge de la transformation de l’espace public, 12 mai 2021).

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Nuage de mots : « Pouvez-vous associer 5 mots à la notion de démotorisation ? »
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Titre Figure 2. Actions considérées comme pertinentes par les enquêtés selon le type d’espace
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Pour citer cet article

Référence électronique

Mariane Thébert et Anne Jégou, « La démotorisation des ménages, nouvel horizon des politiques urbaines ? Analyse croisée de trois métropoles françaises »Espace populations sociétés [En ligne], 2023/2 | 2023, mis en ligne le 20 mars 2024, consulté le 25 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/eps/14174 ; DOI : https://doi.org/10.4000/eps.14174

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Auteurs

Mariane Thébert

LVMT (université Gustave Eiffel)
mariane.thebert[at]univ-eiffel.fr

Anne Jégou

ThéMA (Université de Bourgogne) et CESAER (INRAE)
Anne.Jegou[at]u-bourgogne.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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